Oui, non ou peut-être – l’équilibre difficile entre biodiversité, photovoltaïque et dérèglement climatique
« Pourquoi combattez-vous ce projet et pas celui-ci ? » « La planète brûle et vous vous opposez aux énergies renouvelables, où est la cohérence ? » « Vous ne défendez rien ! » « Vous êtes contre tout ! »
Ces questions, parfois contradictoires, sont légitimes et nous sont fréquemment posées, dans le contexte actuel où il est toujours compliqué de trier les projets d’énergies renouvelables (EnR) en fonction de leur impact, souvent néfaste mais dans certains cas tolérable.
Alors que le permis de construire a été délivré pour la centrale photovoltaïque de la Couravoune à Redortiers, certains s’étonnent de la position d’Amilure, défenseur de la montagne de Lure, qui juge ce projet acceptable comme celui des Corraïnes à Revest-Saint-Martin.
Pourquoi donc ? Quels sont nos critères ? Nos valeurs ?
Pour mémoire
D’abord un bref rappel…
Sans nous, la crête de Lure du côté du Contadour serait aujourd’hui hérissée d’éoliennes. Nous avons commencé à déployer la résistance administrative sur la route de Boralex à Cruis à l’époque où nous étions le seul rempart associatif du territoire contre l’industrialisation de notre montagne. Malgré les affirmations de quelques politiques qui ne s’embarrassent pas des faits, cette procédure est toujours en cours et constitue l’unique espoir, bien que faible, que ce projet soit démantelé et pas seulement retardé. Dans la foulée nous avons bloqué le développement du projet de Seygne à Ongles, qui reste en attente de la conclusion de notre recours, où nous accompagne LPO. Nous avons mis en place le seul frein potentiel au projet de Malaga, sur Aubignosc, qui n’est pas encore jugé. Nous soutenons aussi la mairie de Mallefougasse contre un projet malvenu que rejette une bonne partie de la population. Enfin si les projets des Mûres Basses et du Plan de Banon ne figurent pas au nouveau PLU de Banon, c’est notamment dû à notre action.
Nous ne sommes donc ni une passoire ni une raquette à trous. Notre terrain d’intervention est celui de l’administratif et de la loi, car on empêche moins difficilement les projets répréhensibles au stade de l’intention qu’à celui du chantier. Nous y avons acquis crédibilité et expertise et nous avons obtenu des résultats multiples et significatifs.
Nous examinons les faits avérés et nous nous documentons en conséquence au prix de recherches approfondies. Nous nous attachons à publier des chiffres vérifiables, à nous appuyer sur des théories prouvées, et à ne pas dévoyer des notions techniques qui pourraient être mal comprises. Nous choisissons nos positions en fonction des faits, et non le contraire.
Dans une démarche proactive, nous accompagnons aussi les collectivités et les collectifs sur plusieurs communes du secteur dans leurs interrogations, leurs décisions et leurs actions en matière d’EnR, notamment en cette période de définition des zones d’accélération des EnR (ZADER) dont la loi a très mal précisé les procédures de mise en œuvre. Nous sommes un référent technique reconnu au-delà de notre territoire, souvent consulté par des parties de tous ordres – il arrive même aux opérateurs de nous soumettre leurs intentions en amont des projets…
Un exercice difficile
Évidemment, rien n’est parfait, surtout lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre la préservation de la biodiversité et une installation industrielle censée combattre le péril climatique au prix d’un impact significatif sur l’écosystème.
Nous n’abordons jamais cet arbitrage à la légère et il nous est même arrivé de modifier la position de l’association (qui doit recueillir l’unanimité du conseil d’administration) en cours de route.
Notre réflexion s’inscrit d’abord dans le cadre d’une série de constats plus généraux :
1. Le dérèglement climatique. Bien que différents facteurs naturels aient toujours fait évoluer le climat, le changement actuel est particulièrement rapide et le lien avec les activités humaines fait l’objet d’un consensus scientifique.
2. Le combat. Pour réduire les effets du dérèglement climatique, il est impératif de restreindre l’utilisation d’énergies fossiles à l’échelle planétaire. Le bouquet énergétique primaire de la France se compose de 40 % de nucléaire, 28 % de pétrole, 16 % de gaz naturel, 13 % d’énergies renouvelables et 2,5 % de charbon.
3. La méthode. L’électrification des usages est l’approche la plus pragmatique afin de limiter la consommation d’énergies fossiles. Il s’agit là aussi d’un consensus scientifique.
4. La stratégie. Aucune source d’énergie ne peut à elle seule assurer l’électrification des usages. Le travail de RTE l’a clairement démontré : si la France veut respecter ses engagements, elle doit faire appel à un bouquet énergétique. Cela inclut les EnR dans tous les cas de figure. Par ailleurs :
A. La réduction de notre consommation directe ou indirecte, qu’on appelle la sobriété énergétique, est nécessaire. Elle ne suffira cependant pas à combler le déficit de moyens et de confort inhérent au renoncement aux énergies fossiles. Un changement sociétal profond et démocratique résultant de l’abandon du modèle socio-économique actuel n’est pas envisageable à moyen terme, d’autant que les sacrifices réels qu’implique ce virage majeur ne sont pas clairement identifiés ni quantifiés.
B. Il semble évident que les espaces anthropisés seront insuffisants pas pour répondre à la demande mais, comme nous l’avons toujours clamé, avant d’attaquer la nature il conviendrait de purger d’abord ces zones qui ne la menacent pas.
C. L’autoconsommation et les Centrales Villageoises sont à encourager. Mais les limites inhérentes de ces approches pour les agglomérations importantes, principales consommatrices d’énergie, doivent être prises en compte.
5. Solidarité. Aucun territoire ne peut légitimement s’abstenir de contribuer à l’électrification des usages. Notre région, qui bénéficie d’un ensoleillement exceptionnel doit être solidaire.
6. Le temps presse.
Dans ce cadre, nous avons toujours préconisé une approche pragmatique qui tente, autant que faire se peut, de distinguer le tolérable de l’inacceptable. À cette fin, nous examinons cinq critères afin d’évaluer les projets :
Covisibilité. La défense des paysages emblématiques de la montagne de Lure implique notre refus systématique de projets dont la visibilité détruit ce bien commun. Les projets de Cruis et d’Aubignosc sont des exemples criants de cette logique de défiguration.
Biodiversité. Partant du constat que toute activité humaine impacte la biodiversité du lieu où elle se déploie (même un potager modifie l’écosystème, même une déchetterie abrite de la vie) nous tâchons de mesurer les répercussions réelles des projets analysés – dire que la biodiversité est touchée ne suffit pas. Il est cependant clair que nous nous opposerons toujours au défrichement de surfaces forestières pour fins d’EnR (comme à Cruis) et à la destruction d’écosystèmes remarquables (comme à Ongles).
Economie. La question de l’impact économique est aussi, et de plus en plus, un enjeu. Au-delà du patrimoine paysager de tout riverain, la préservation de l’attractivité touristique de notre territoire est vitale. Mais surtout, les assauts agrivoltaïques qui se préparent menacent toute la filière agricole, qu’il est déjà très difficile de maintenir. La loi sur l’accélération des EnR n’a pas encore précisé les modalités d’application en regard de l’agrivoltaïsme (les décrets), mais lors de notre assemblée générale de septembre dernier, la conclusion de chacune des parties présentes à notre table ronde (y compris la FNSEA PACA) était qu’en matière de PV au sol sur zone agricole 1) on devait attendre les résultats d’une expérimentation plus longue pour statuer et donc développer, et 2) pour aider l’agriculture il faudrait plutôt mettre en place des dispositifs spécifiques, de nature agricole – sinon les mesures d’accélération prévues, censées soulager les contraintes économiques de l’agriculture, risquent au contraire de la tuer.
Appui citoyen. La défense du bien commun peut nous amener à nous opposer à un projet par ailleurs soutenu par des citoyens locaux, mais nous prenons en compte leur position.
Envergure. Tous ces critères restent liés à l’envergure du projet. L’impact d’un hectare de panneaux est moins grand que celui de cent. Par exemple, le périmètre vital des espèces, entre un insecte rampant, un reptile et un oiseau, dépend de chacune. C’est un facteur de réalisme qui, selon le contexte, pourra faire basculer notre position dans un sens ou dans l’autre.
Notre arbre de décision se déroule comme suit :
- Dans le cas d’un projet de très faible envergure nous pourrons, le cas échéant, exprimer une désapprobation mais nous ne nous y opposerons pas activement. La notion de « faible envergure » n’est cependant pas quantifiable – elle dépend entièrement du contexte général et des impacts négatifs envisagés par ailleurs, qui doivent donc être aussi pris en compte.
- En cas de covisibilité réelle, de projet agrivoltaïque ou de défrichement avéré et de taille significative, nous nous opposerons toujours, sous réserve éventuelle d’un argumentaire citoyen qui pourrait modifier notre appréciation – nous demeurons à l’écoute.
- Les projets ayant satisfait ces premiers critères restent soumis à notre analyse des enjeux en termes de biodiversité.
Cela se résume au tableau suivant :
Envergure | Covisibilité ou agrivoltaïsme ou défrichement | Biodiversité | Position |
FAIBLE | – | – | ACCEPTATION |
SIGNIFICATIVE | OUI | OUI | OPPOSITION |
SIGNIFICATIVE | OUI | NON | OPPOSITION |
SIGNIFICATIVE | NON | OUI | OPPOSITION |
SIGNIFICATIVE | NON | NON | ACCEPTATION |
Le cas de la biodiversité
L’enjeu de la biodiversité est plus subjectif à évaluer. Lorsque le projet met en péril un bassin de biodiversité rare, comme le sont les zones humides dans notre département, il est facile à trancher. Par contre, quand le projet s’inscrit dans un écosystème typique et pas particulièrement menacé, la question est plus complexe. Nous l’abordons depuis deux angles.
Nature de l’écosystème. Le premier point à ne pas sous-estimer est l’impact du dérèglement climatique sur la biodiversité de notre région. La hausse des températures et une fréquence accrue d’événements météorologiques perturbateurs (feu, inondations, vents, etc…) constituent d’ores et déjà des risques majeurs pour la biodiversité.
Une installation industrielle sur un bassin de biodiversité rare, comme la zone humide d’Ongles, soulève notre opposition. De la même façon, nous défendrons un site où la présence importante de multiples espèces protégées et/ou un véritable développement forestier auront été constatés – comme à Cruis, où s’ajoute un facteur de covisibilité énorme.
Dans le cas d’un espace peuplé par la flore et la faune typique et non menacée de la région, nous validons la pertinence du principe de mesures compensatoires si l’envergure du projet reste modeste.
Mesures compensatoires. C’est ici que se joue l’équilibre entre l’impact sur la biodiversité et la contribution du projet à l’inflexion du dérèglement climatique par l’électrification des usages. La labellisation et la protection via le PLU de zones à proximité des projets, offrant des espaces sanctuarisés pour les espèces menacées, pèsent favorablement sur l’acceptabilité du projet et nous permettent, comme pour la Couravoune, de minorer l’enjeu de la biodiversité du projet.
On sait que la mise en application de ces mesures suscite, à juste titre, la méfiance. Mais il ne faut pas se tromper de combat : le principe lui-même n’est pas sans pertinence – on doit plutôt se battre pour le faire respecter.
En conclusion
C’est dans cette optique que les projets de la Couravoune à Redortiers et des Corraïnes à Revest-Saint-Martin nous ont paru acceptables, et que nous avons commis des contributions aux enquêtes publiques respectives qui vont dans ce sens, pour l’un et pour l’autre – envergure inférieure à 6 ha, sans permis de défrichement nécessaire (des arbres mais pas de forêt), pas de mitage en perspective, visibilité très limitée, mesures de compensation significatives… Il y aura un impact sur la faune et la flore, évidemment, mais si l’on s’oppose à ces projets-ci c’est qu’on s’oppose à tout projet, sans aucune considération pour les enjeux de précarité énergétique et de perturbation climatique. C’est le parti de certains mais pas le nôtre.
Exemple : le cas CouravouneVoyons plus en détail le projet de la Couravoune, à Redortiers. EnvergureLe projet occupe 5,07 ha après avoir été réduit par le CNPN (Conseil national de la protection de la nature) de 7,5 ha à 5,14, puis ajusté par l’opérateur. L’impact des OLD périmétriques (obligations légales de déboisement) est réduit du fait de la route, d’un champ voisin et de l’état de la végétation. Rappelons que les OLD impliquent l’élimination de la couche arbustive et l’éclaircissement des arbres mais non le défrichement. DéfrichementLe site comporte une certaine végétation, évidemment. Elle est constituée de très peu de sujets matures et d’un taillis de jeunes rejets de chênes blancs parmi lesquels quelques pins se sont incrustés. En l’état il ne s’agit techniquement pas d’une forêt. La forêt pourrait peut-être se constituer d’ici une vingtaine d’années mais cette végétation est en souffrance et son avenir n’est pas assuré. Il ne faut pas confondre potentiel et réalité. VisibilitéLe projet est visible latéralement sur sa seule hauteur, sans surplomb, sur 100 m depuis la route de Redortiers (D5), qui démarre à ce carrefour, et sur une vingtaine de mètres depuis la départementale (D950) en venant de l’ouest. Aucune habitation n’est située dans ces axes, aucune vue remarquable n’est compromise. Par ailleurs le projet ne soulève aucune question de mitage, compte tenu de l’absence d’implantations analogues à proximité. BiodiversitéLes mesures de compensation demandées par le CNPN correspondent à 7,5 ha d’espaces naturels au nord du site, qui seront « favorables aux reptiles, la Fauvette orphée, et les deux espèces de Gagée » (des champs et des prés). Des individus de plusieurs espèces seront cependant détruits. A l’aune de tout projet d’implantation sur site naturel, ces destructions nous ont paru acceptables même si non souhaitables. ConclusionComme il est expliqué plus haut, ce type de projet comporte donc un impact minimal et, à ce titre, n’est pas combattu par Amilure. S’il l’était, cela reviendrait à dire que nous sommes contre tout projet photovoltaïque au sol, quelle que soit son envergure, sa visibilité et l’état de la parcelle. |
Image d’en-tête : DALL-E
Je comprends parfaitement votre démarche et votre logique. Votre raisonnement me semble faire preuve d’ une grande sagesse. Cependant mon avis sur le site de Redortiers est très mitigé. Sur ce lieu, il y a certes de petits arbustes et des broussailles, mais il y a aussi des grands pins et de l’ autre côté du chemin des résistants à moins de 150 mètres il y a à ma connaissance 2 habitations dont un élevage de chevaux qui vont souffrire de cette implantation. Est il vraiment indispensable de continuer à défigurer la montagne de Lure. Cruis est une vraie catastrophe. Ne serait – il pas possible de prévoir ces installations sur les toits des hangars agricoles notamment ? En dehors de ce sujet très préoccupant qu ‘ est le réchauffement climatique, il me semble que cesser d’ importer des quantités phénoménales de biens de consommation et de produits industriels de l’ autre bout de la planète avec force transports par avion, par containers et par camions serait beaucoup plus efficace. Ce système de fonctionnement ne servant les intérêts que de quelques uns au détriment de millions de démunis et de pauvres. Yannick Allesant.
Merci pour votre commentaire.
Comme nous l’expliquons, nous pensons que, toutes considérations prises en compte par ailleurs, il faut se rendre à l’évidence que les différentes mesures (même si elles étaient prises, alors qu’elles ne le sont pas comme vous le soulignez) ne suffiraient pas pour prévenir le choc de société qui se prépare. Les analyses quantitatives semblent démontrer que toitures et ombrières ne satisferont pas les besoins même réduits (alors qu’ils continuent d’augmenter). Il faut s’attendre à des changements culturels importants. C’est dans cet esprit qu’il nous semble déraisonnable de maintenir une position absolutiste contre les incursions industrielles dans notre territoire naturel. Nous combattons quand même la plupart des projets, dont tous les gros, et celui de Cruis, en termes de visibilité, ne se compare pas du tout à celui de Redortiers. Mais comme nous l’écrivons, s’il nous faut en accepter certains, celui-ci en est le parfait exemple.
Accessoirement, rappelons que la zone d’OLD (50 m autour du périmètre du projet) fait l’objet d’éclaircissement (2,50 m entre les houppiers) mais pas d’un défrichement.
Bravo et merci pour ces éclaircissements et le raisonnement rigoureux qui y conduit.
Contribution très intéressante. Vous soulignez bien la complexité des arbitrages à effectuer et les limites dans le système actuel des solutions durables possibles. Le « pragmatisme » qui vous inspire est salutaire. Je suis investi dans des luttes environnementales contre des projets abusifs d’éoliennes industrielles et d’agrivoltaisme. Votre contribution va circuler !!!
Bravo pour la transparence, ça a dû être un gros travail de rassembler tout cet historique et expliciter votre arbre de décision : démarche exemplaire
Bravo et grand merci C’est très clair, transparent, précis et rigoureux Ce serait bien que l’Etat par la voie du préfet, que Boralex et tous les élus s’alignent sur ces principes au lieu de travestir la vérité et d’oublier que la justice est indépendante et qu’il faut lui faire confiance même si parfois des vigiles ou des représentants de l’ordre peu attentionnés oublient que le droit est le fondement de notre démocratie