La France sacrifie sa biodiversité au profit de l’énergie solaire et éolienne. La justification légale de « raison impérative d’intérêt public majeur », nécessaire à l’obtention de dérogations pour destruction d’espèces protégées, est infondée dans un contexte de surproduction électrique et de manque de soutien aux solutions alternatives.
La France cherche à verdir son mix énergétique par un très fort développement d’installations solaires. Mais sous couvert de transition écologique, de vastes parcs photovoltaïques s’implantent en pleine nature, entraînant une destruction massive d’espaces naturels et de leur biodiversité. On sacrifie donc la nature au nom d’une transition censée la protéger.
Le cadre juridique pour permettre ces destructions est très clair. L’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit en principe la destruction d’espèces protégées, mais selon l’article L. 411-2 du même code, des dérogations peuvent être accordées si le projet remplit les trois conditions cumulatives suivantes :
- Une absence d’alternatives satisfaisantes
- Le maintien d’un état de conservation favorable des espèces impactées
- Obéir à une « raison impérative d’intérêt public majeur ».
Le troisième critère, « l’intérêt impératif », est particulièrement problématique. Il suppose en effet une hiérarchisation des intérêts publics, où la protection de la biodiversité est reléguée au second plan au nom d’un intérêt supérieur, celui d’une nécessaire transition écologique en réponse au changement climatique, jugé prioritaire. A première vue, cette mise en concurrence des intérêts pose question, le vivant et le climat sont intimement liés, interdépendants, et également essentiels au maintien de l’équilibre écologique et des conditions de vie sur Terre.
Mais le législateur, prudent, a pris soin d’éviter tout débat sur cette notion subjective d’intérêt « impératif ». La loi APER du 10 mars 2023, complétée par le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023, prévoit qu’un projet photovoltaïque au sol dont la puissance installée dépasse 2,5 mégawatts-crête bénéficie automatiquement du statut d’intérêt impératif. Plus besoin donc de démontrer au cas par cas l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, la seule puissance du projet suffit à l’imposer.
La discussion est close, le verrou est levé, l’opposition est muselée, et les projets solaires peuvent s’implanter en toute légalité en bénéficiant du statut d’intérêt « impératif ».
Une surproduction énergétique remet en cause l’intérêt « impératif » des projets destructeurs de biodiversité
Non, tout n’est pas joué, même si le cadre législatif est contraignant. L’argument d’un besoin impératif « d’énergie verte » s’affaiblit dès qu’on regarde les données disponibles.
En France, la production électrique est déjà décarbonée à 96.3 % (chiffres 2024 de RTE), ce qui s’explique par l’importance de nos équipements nucléaires (67 % de la production) et hydrauliques (14 %). La décarbonation de notre électricité n’est donc pas l’enjeu majeur pouvant justifier des atteintes supplémentaires à la nature.
L’argument principal avancé pour justifier l’implantation de nouvelles installations solaires et éoliennes destructrices d’espaces naturels est le suivant (voir ici) : l’électrification de nouveaux usages dans l’industrie et les transports devrait rapidement tirer la demande en « électricité verte » vers le haut. Il faudrait donc s’y préparer, construire au plus vite de nouvelles installations, et produire par anticipation. Les scénarios de la PPE3 en cours d’élaboration reflètent cette ambition.
Or, tout prouve que cette bascule se fait attendre. Notre consommation électrique n’a pas progressé depuis dix ans, elle a même diminué grâce à une meilleure sobriété énergétique. Selon RTE, notre consommation était en 2024 de 12,7 % inférieure à la moyenne 2014–2019.
En revanche, notre production d’électricité suit une tendance inverse. En 2023, elle a atteint 494,7 TWh, soit une hausse de 11 % par rapport à 2022. Cette augmentation s’est poursuivie en 2024 avec une production record de 539 TWh. L’écart persistant entre l’offre et la demande contribue à entretenir une surproduction présente depuis de nombreuses années. Depuis 1990, notre solde exportateur net moyen est de 55 TWh par an, et en 35 ans, nous n’avons connu qu’un seul épisode de tension sur l’approvisionnement électrique, c’était en 2022, lorsque plusieurs réacteurs nucléaires étaient à l’arrêt.
Mais plus inquiétant, l’injection massive d’une énergie intermittente non pilotable dans le réseau (éolien, solaire) génère toute une série de problèmes.
Financièrement, on voit de plus en plus se multiplier les épisodes où l’offre excède tellement la demande que l’électricité se négocie à prix négatifs (rapport CRE de 2024). La charge en est assumée, le plus souvent, par l’État qui est lié aux producteurs par des garanties de prix.
Sur le plan technique, l’intermittence des énergies renouvelables déstabilise le réseau électrique, fait peser un risque de blackout, et soumet le parc nucléaire à une pression qui menace le niveau de sûreté (rapport IGNSN, 2024).
Enfin, une dépendance excessive aux panneaux solaires chinois soulève des questions de souveraineté nationale.
L’absence de stratégie cohérente affaiblit encore davantage la justification d’intérêt supérieur
En toute logique, la lutte contre le changement climatique devrait imposer des actions à faibles impacts écologiques, mais la stratégie française semble s’éloigner de cette logique.
Alors qu’un soutien à la sobriété énergétique devrait être le premier maillon de la chaîne, les crédits publics alloués à ‘MaPrimeRénov’ s’essoufflent d’année en année, et le « Fonds vert », destiné aux collectivités territoriales, a été sérieusement raboté dans la loi de finances 2025 (voir ici).
Parallèlement, les pouvoirs publics ont délibérément réduit leur soutien aux petites installations solaires à faible impact, qui trouvent le plus souvent place en toiture. En 2025, ils ont divisé par trois les tarifs de rachat des productions de petites puissances, et ont singulièrement réduit le montant de la prime à l’autoconsommation pour les particuliers (source CRE). La réduction annoncée de la TVA sur les panneaux solaires ne pourra effacer ces baisses de subvention.
Tout aussi surprenantes, les aides à la mobilité décarbonée sont également en net recul, alors que le transport est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. En 2024, le bonus écologique a été réduit, et la prime à la conversion supprimée pour tous les véhicules y compris pour les hybrides rechargeables. Les cartes grises ne sont pas en reste. Elles étaient quasi gratuites pour les véhicules électriques, mais c’est terminé.
Et en même temps, et en totale incohérence avec ces coups de bélier aux solutions de transition écologique du quotidien, les pouvoirs publics continuent à miser sur la construction de grands parcs solaires dans le cadre d’appels d’offres, et à autoriser la destruction d’espèces protégées sous couvert d’un impératif majeur à lutter contre le changement climatique.
L’argument d’intérêt « impératif » n’est plus tenable
Ce tour rapide d’horizon nous mène à une évidence : l’invocation d’une « raison impérative » pour autoriser l’implantation de grands projets solaires ou éoliens destructeurs de biodiversité ne se justifie plus.
Cet argument s’effondre complètement face à l’évidence d’une surproduction électrique et d’une consommation en baisse. Il est en outre totalement invalidé par les incohérences d’une politique publique qui n’accorde aucune priorité aux solutions alternatives à moindre impact, et baisse son soutien à la sobriété énergétique, aux mobilités propres et aux installations solaires domestiques.
Le développement des EnR est nécessaire et souhaitable, mais il doit correspondre aux demandes réelles, et s’inscrire dans une hiérarchie des priorités où la préservation de la biodiversité demeure une valeur cardinale.
Un moratoire s’impose sur tout nouveau projet d’énergie renouvelable solaire ou éolienne nécessitant une dérogation pour la destruction d’espèces protégées.
Remarquable analyse qui fait froid dans le dos (malgré le chauffage électrique). Elle mériterait d’être publiée nationalement.