Amilure

Les amis de la montagne de Lure

Si deux parties sont radicalement opposées, l’une d’entre elles (au moins) a-t-elle forcément tort ? On pourrait le penser.

On assiste en ce moment à des prises de positions contradictoires en matière d’énergie renouvelable, au sujet, spécifiquement, des centrales photovoltaïques au sol.

L’avis du CNPN

Le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a pris unilatéralement position cet été (on dit qu’il s’est autosaisi) sur l’évolution du parc photovoltaïque en France, par un avis accessible au public.

Le Monde a commenté ce rapport et s’en est enquis auprès des auteurs :

« Nous constations une très forte hausse des dossiers photovoltaïques avec une emprise de plus en plus importante sur des espaces naturels, explique Maxime Zucca, vice-président de la commission espèces et communautés biologiques du CNPN. Nous avons même reçu des alertes de services de l’Etat pour nous dire qu’il se passait des choses alarmantes. Donner notre avis projet par projet ne suffisait pas à enrayer la machine. »

Le même article note plus loin :

Dans son avis, l’instance s’inquiète d’une « tendance au gigantisme et à des empiètements sur les milieux naturels » tels que des prairies, des forêts, des zones humides, des lacs ou des espaces agricoles.

Le site Reporterre a aussi commenté ce rapport.

Le CNPN souligne l’importance de concilier la transition énergétique avec la préservation de la biodiversité. Il recommande de prioriser l’installation des centrales solaires sur les surfaces anthropisées afin de limiter les impacts négatifs sur les écosystèmes. Le rapport présente 21 recommandations, incluant l’interdiction d’implanter des centrales photovoltaïques dans les zones protégées et semi-naturelles (y compris les zones humides comme à Ongles), et propose des améliorations dans la planification, l’évaluation des projets et la compensation des impacts environnementaux.

On y lit entre autres, au chapitre de la 3e recommandation :

Le CNPN s’inquiète en particulier de l’incidence du décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers, dont le taux de couverture autorisé à 40% en panneaux photovoltaïques est excessif…

Notons que l’INRAE, notre référent scientifique national en matière d’agriculture, avait proposé de limiter la couverture par panneaux à 20% après avoir d’abord parlé de 15%. Le gouvernement en a décidé autrement.

Le CNPN propose notamment de concentrer les efforts sur les toitures, parkings et autres surfaces artificialisées pour éviter d’empiéter sur les milieux naturels. Les experts soulignent que la transition énergétique ne doit pas accélérer la perte de biodiversité et appellent à traiter les crises climatique et écologique avec la même ambition.

Les entreprises du secteur photovoltaïque critiquent fortement ces positions, estimant que ces dernières freinent le développement de l’énergie solaire en France. Elles considèrent que l’objectif d’interdire les nouvelles installations solaires sur les espaces naturels ou semi-naturels, tant que les surfaces artificialisées ne sont pas pleinement exploitées, est irréaliste. Selon elles, se concentrer uniquement sur ces surfaces augmenterait les coûts et ralentirait le rythme des installations, rendant difficile l’atteinte des objectifs énergétiques nationaux. On attend encore les chiffres qui pourraient étayer ces affirmations…

Bien évidemment, la position de conflit d’intérêts de ces entreprises quand elles s’expriment sur la question doit être minorée – ne faisons pas de mauvais esprit. Elles n’ont aucune raison d’être partiales.

Le texte de l’avis fait 90 pages. Nous ne le résumerons donc pas de manière fidèle ici, mais l’épaisseur du document donne une bonne idée du sérieux de la démarche : il ne s’agit pas d’un coup de gueule intempestif mais d’une étude sérieuse et approfondie.

La bombe des Landes

Et pendant ce temps, sur une planète voisine… Car effectivement, l’actualité énergétique des Landes semble se dérouler dans un univers parallèle à celui dans lequel évolue le CNPN.

Un projet agrivoltaïque dans les tuyaux depuis 2020 vient d’être approuvé en préfecture des Landes : il s’agit de couvrir 200 ha de panneaux sur 700 ha de culture. On en parle ici et , et on le critique aussi. Le Figaro relève notamment qu’au sujet de ce projet :

La commission d’enquête publique avait rendu au printemps un avis défavorable, pointant notamment «l’insuffisance» des études d’impact environnemental et «l’absence de retour d’expérience» sur des projets similaires.

Mais nous sommes coutumiers du fait que ces enquêtes publiques ne servent qu’à conforter les décideurs, qui les balayent d’un revers de la main quand elles ne vont pas dans leur sens. En outre, l’idée de ne pas s’engouffrer dans ces technologies avant d’en avoir étudié l’impact dans la durée est l’expression du bon sens, comme en concluait notre table ronde sur le sujet, en septembre 2023. Mais le bon sens n’est pas à la portée de tout le monde – comme les études du CNPN.

Il paraît qu’en contrepartie, les agriculteurs s’engagent à ne pas utiliser de pesticides. On peut se demander pourquoi ils le feraient puisqu’ils risquent de ne continuer à cultiver que pour donner le change. L’opérateur (GLHD, avec « EDF Renouvelables » au capital) est content.

Où est la logique ?

On peut supposer que la plupart des gens aspirent à un monde plus ou moins unifié. Où la raison triomphe contre la bêtise, où l’intérêt général prime sur le particulier, où le long terme, le durable, prévaut sur le court-termisme, l’éphémère, et où les énergies sont globalement convergentes. On sait à quel point on est loin de cette vision candide – et pourtant la seule qui soit défendable sauf à promouvoir la bêtise.

On a, ici, un bel exemple de cette bêtise. Et l’on voit d’où elle vient.

Le CNPN est contre, le commissaire enquêteur est contre, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) est contre, la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO) est contre… Qui est pour ? Les bénéficiaires (les agriculteurs et l’opérateur) dont le conflit d’intérêts ne donne pas voix au chapitre, et le lubrificateur administratif en chef : le Préfet. On peut croire que le ministère de la transition écologique, s’il est raccord avec sa récente loi sur l’accélération et ses décrets d’application, applaudisse aussi à ce triomphe de la cécité… écologique – c’est comme ça dans le métavers politique.

Avec une petite pincée de cynisme on pourrait se demander pourquoi on continue à financer le CNPN, d’ailleurs récemment menacé, si c’est pour mettre à la poubelle tous ses avis sans les lire (ne parlons pas de les appliquer) – comme par exemple l’avis défavorable qu’il avait donné sur Cruis, que la DREAL avait retourné sans doute sous la pression du Préfet, mais que la cour administrative d’appel a heureusement repêché. Belle fluidité s’il faut 4 ans de procédure judiciaire pour faire reconnaître l’autorité environnementale de l’état contre son propre ministère.

C’est fatigant, à la longue, quand, à court de vocabulaire pour décrire l’indigence d’une situation sans aucune logique, on finit toujours par retomber sur la même expression : marcher sur la tête. Et pourtant, comment mieux qualifier ce désordre, ce gâchis…

Note : Il vaut la peine de mentionner que Laurent Depieds, président FDSEA 04 et FRSEA PACA et participant à notre table ronde de 2023, publie dans le « Mag » de la chambre d’agriculture 04 ( #3 septembre 2024)  une position très réservée sur l’agrivoltaïsme, dans le prolongement de son témoignage à notre AG.

Raison et déraison – affligeant déséquilibre des forces

Un commentaire sur « Raison et déraison – affligeant déséquilibre des forces »

  1. Monsieur Despieds précise sa position :
    ” tout celà (l’agrivoltaique) à cause du manque de centrales nucléaires en France….
    Pour d’autres le photovoltaique et les énergies renouvelables mettent à mal le fonctionnement des réacteurs nucléaires à cause de la modulation, donc stop!

    Les oppositions sont diverses et bien campées.
    peste, cholera, faut il choisir ?
    Et puis ,100 000 ans, au final c’est pas si grave…
    vincent pergolizzi

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