Amilure

Les amis de la montagne de Lure

Loi d’accélération EnR – esquisse d’un volant mais pas de frein

Une loi est née

Après un chemin pour le moins cahoteux (voire chaotique) à l’Assemblée nationale, et l’aval du Conseil constitutionnel qui avait été saisi par plusieurs députés contestant la validité de certains articles, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (EnR) a été publiée au Journal officiel le 11 mars.

Sa promulgation « donne le coup d’envoi d’une planification énergétique au plus près du terrain », s’est félicitée Agnès Pannier-Runacher (notre ministre de la transition énergétique) sur son compte LinkedIn, ajoutant qu’il s’agit d’une « opportunité inédite d’agir ensemble – État, élus locaux, industriels – pour notre indépendance énergétique et pour le climat ».

Bien que de nombreux décrets d’application restent à publier afin d’établir formellement pour chacune des étapes les responsables, les dates et les livrables, nous revenons sur les principaux changements relatifs à la planification et à l’autorisation de projets industriels photovoltaïques.

Planification

La loi prévoit la mise en place d’un dispositif de planification, avec des « zones d’accélération », prioritaires au déploiement de projets d’énergies renouvelables. Ce dispositif est applicable à l’éolien et au photovoltaïque et doit être conclu dans un délai de six mois à compter de la mise à  disposition, par l’Etat et les gestionnaires des réseaux publics d’électricité, des informations relatives au potentiel de développement énergétique local, actualisées à chaque révision de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie).

  • Ces zones prioritaires vont être définies par les élus locaux, en concertation avec les habitants de chaque commune. À cette fin, l’État devra mettre à la disposition des collectivités locales les informations disponibles sur le potentiel d’implantation des EnR.
  • Les zones prioritaires définies par les communes seront débattues au sein de leur établissement public de coopération intercommunale, qui les valideront, définissant ainsi le projet au niveau du territoire. Passé un délai de six mois, le référent préfectoral arrêtera la cartographie des zones.
  • L’avis du Comité régional de l’Énergie sera également sollicité. Si ce comité conclut que les zones identifiées sont suffisantes pour atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables, les référents préfectoraux de la région arrêteront la cartographie à l’échelle du département, après avis conforme de chaque commune concernée pour les zones situées sur son territoire. Dans le cas contraire, les référents préfectoraux devront demander aux communes d’identifier de nouvelles zones. Les communes pourront toujours délimiter des zones d’exclusion dès lors que les objectifs régionaux sont atteints.
  • Les documents d’urbanisme seront ensuite mis à jour afin de refléter les accords conclus.

Ce processus devra être renouvelé tous les cinq ans.

À partir du 31 décembre 2027, les zones d’accélération devront contribuer à atteindre les objectifs de la PPE.

La loi facilite l’installation de panneaux solaires sur des terrains déjà artificialisés ou ne présentant pas d’enjeu environnemental majeur. Sont notamment visés les terrains en bordure des routes, les aires de repos ou les bretelles d’autoroutes ainsi que les voies ferrées et fluviales. Par ailleurs, les parkings extérieurs existants de plus de 1 500 m2 devront être équipés de panneaux solaires sur au moins la moitié de leur surface (sauf exception).

Les immeubles sont aussi concernés. Sur les bâtiments non résidentiels neufs ou lourdement rénovés (entrepôts, centres commerciaux, hôpitaux, école, etc), la couverture minimum des toitures solaires devra augmenter progressivement de 30% en 2023 à 50% en 2027. Cette obligation sera étendue dès 2028 aux bâtiments non résidentiels existants.

Finalement, le déploiement de centrales photovoltaïques au sol est largement interdit dans les zones forestières. Le défrichement de surfaces supérieures à 25 hectares sur ces territoires est en effet prohibé.

Notre avis

Le processus de planification, s’il est accompagné d’une véritable concertation citoyenne, est positif. Il est important pour tous ceux qui veulent participer aux décisions portant sur le déploiement de sites industriels d’EnR de contacter leur mairie pour connaître les modalités de cette consultation. Nous nous questionnons par contre sur la légitimité de projets en cours qui pourraient de facto se situer sur des sites qui seront exclus des zones prioritaires d’accélération. Force est aussi de constater que si les zones identifiées ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables, les référents préfectoraux devront demander aux communes d’identifier de nouvelles zones, ce qui affectera les accords précédemment souscrits. Se pose également la question de la co-visibilité, une commune pouvant identifier une zone d’accélération qui en affecte une autre. Finalement, si nous appuyons sans réserve l’interdiction de défrichement sur des surfaces de 25 ha et plus, nous regrettons, au vu de la taille des projets dans notre région, que l’impact de cette interdiction sera non seulement limité mais pourrait contribuer à l’accélération du mitage de la montagne de Lure.

À nous de nous assurer collectivement que la Montagne ne soit pas désignée comme « zone d’accélération ».

Autorisations et recours

Le principal changement apporté par la loi est l’introduction, via l’article 4, de la présomption d’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM).

  • Cette mesure reprend, dans les grandes lignes, les dispositions d’un règlement européen de décembre 2022.
  • Concrètement, elle va faciliter l’obtention d’une dérogation au dispositif Espèces protégées (tel qu’il est prévu à l’article L.411-1 du Code de l’environnement). À noter toutefois que certaines conditions sont d’ores et déjà prévues : par exemple le maintien de l’espèce dans un bon état de conservation, et l’absence de solutions alternatives satisfaisantes.

De nouveaux référents préfectoraux à l’instruction des projets renouvelables seront chargés de faciliter les démarches administratives des porteurs de projets et de coordonner les services chargés d’instruire les autorisations. Un médiateur des énergies renouvelables devra par ailleurs aider à la recherche de solutions amiables aux difficultés ou aux désaccords rencontrés dans l’instruction ou la mise en œuvre des projets.

Toujours pour gagner du temps et sécuriser les projets, des mesures tendent à réduire les risques contentieux. Ainsi, le juge administratif devra permettre la régularisation de l’autorisation environnementale lorsque c’est possible. Cela évitera l’annulation totale des autorisations environnementales, lorsque le vice affectant leur légalité peut être régularisé.

De plus, un fonds de garantie permettra de compenser une partie des coûts subis par les porteurs de projet en cas d’annulation contentieuse d’une autorisation environnementale. Jusqu’à présent, les porteurs de projet attendaient de connaître l’issue des recours avant de lancer la mise en œuvre de leurs installations.

Notre avis

Nous sommes évidemment inquiets des potentielles dérives de la présomption d’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur », d’autant que les études d’impact, notamment pour l’absence de solutions alternatives satisfaisantes, ont démontré plus d’une fois leur vacuité. Par ailleurs, le fait que le juge administratif doive permettre la régularisation de l’autorisation environnementale lorsque c’est possible, ouvre la porte à de potentiels excès. La mise en place d’un fonds de garantie est à notre sens totalement contestable : ce fonds permettra aux industriels d’avancer, même en cas de recours, avec un risque financier moindre, éliminant de facto un garde-fou naturel du système.

Finalement, le rôle du médiateur nous semble plutôt celui d’un « facilitateur » – qui rappelle les pratiques de certains commissaires enquêteurs. Nous attendons donc de les voir à l’œuvre !

La réaction de la filière (les opérateurs) est assez mitigée, voire négative, notamment en ce qui concerne l’étape de planification. C’est probablement un bon signe, mais qui est aussi un appel à tous ceux d’entre vous qui veulent défendre le territoire. Il est impératif de communiquer avec vos élus afin de participer à l’élaboration de la cartographie des « zones d’accélération », avec pragmatisme et bon sens. C’est une occasion à ne pas rater, car le syndicat des énergies renouvelables (le SER – la cavalerie des industriels), lui, sera bien présent :

« Dès à présent, [le SER] va renforcer ses liens avec les élus locaux via son réseau de représentants régionaux, et démontrer comment les acteurs de la filière peuvent aussi être les énergéticiens du territoire » (source).

Le défi climatique fait appel à une électrification de notre quotidien, mais elle ne doit pas se faire au détriment des paysages remarquables et de la biodiversité de la montagne de Lure et du plateau d’Albion. À nous de trouver l’équilibre le plus juste.

Témoignage

Camille Feller, maire de Montlaux, partage avec nous son sentiment sur l’impact que cette nouvelle loi aura sur les petites communes rurales, notamment celles de notre territoire.

Remarquant d’emblée que les décrets à paraître apporteront forcément des précisions, elle a compris qu’on ne laisserait pas faire n’importe quoi aux communes. On s’attend par exemple à ce que les zones d’accélération prioritaires proposées soient au moins à la hauteur des zones d’exclusion – exclure la majorité du territoire ne sera pas possible. Par ailleurs, le statut des zones ni prioritaires ni exclues échappe à la commune : c’est la porte ouverte aux projets industriels sur terrains privés, notamment en termes agrivoltaïques.

Sur ce dernier sujet, il semble qu’on freine à tous les étages des collectivités et de l’administration pour préserver notre agriculture. L’industrie a cependant coutume de franchir d’un bond les barricades d’état d’âme qu’on aura dressées sur son chemin : il faudra rester vigilant.

Elle déplore par ailleurs qu’aucun mécanisme de vases communicants ne soit prévu pour absorber la pression du SRADDET : si la commune voisine se couvre de panneaux, les objectifs de la vôtre n’en seront pas atténués.

Enfin, l’absence des Parcs Naturels Régionaux dans ce processus lui semble incompréhensible.

Mme Feller note qu’au sein de l’AMRF (Association des maires ruraux de France) beaucoup parmi les adhérents appellent toutes ces facilitations de leurs vœux, trouvent encore que c’est inutilement long et compliqué, parlent d’expropriation… Ce n’est pas le cas de Montlaux qui refuse des projets toutes les semaines et redoute les passages en force. Les recoupements avec le ZAN (zéro artificialisation nette) risquent aussi d’être riches en complexité administrative – complexité toujours plus favorable aux gros opérateurs qu’aux petites communes.

Elle retient cependant une note d’optimisme : notre préfet, lors de l’AG des maires ruraux du département, a selon elle pris publiquement position contre le défrichement à destination photovoltaïque. Les assises départementales de la forêt et de la filière bois, qui se tiendront à Dignes le 20 avril à l’instigation conjointe de la préfecture et du département, pourraient être l’occasion de confirmer cette nouvelle doctrine.

Visuel d’en-tête généré par DALL·E 2.

Loi d’accélération EnR – esquisse d’un volant mais pas de frein

Un commentaire sur « Loi d’accélération EnR – esquisse d’un volant mais pas de frein »

  1. Comme d’habitude, une “usine à gaz” administrative pour faire traîner, tourner en rond, amuser la galerie….J’ai connu cela aussi dans “une autre vie”, à chaque demande urgente, la réponse (des politiques, changeants) était : “Faites moi en rapport “, pour gagner du temps, mais le rapport était prêt immédiatement (à leur grand dam!), c’était toujours le même d’une année sur l’autre, il suffisait de changer les dates !! TRISTE……

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