L’agrivoltaïsme, menace ou bonne idée ? Ou les deux à la fois ?
Dans le prolongement de l’assemblée générale de l’association Amilure s’est déroulée une table ronde sur la question du développement de « l’agrivoltaïsme » ou photovoltaïsme sur terrain agricole. Cet article est une synthèse succincte des propos et réflexions des invités au débat.
Notons par ailleurs qu’un journaliste de Radio Zinzine, M. Nicholas Bell, a effectué une captation sonore qu’il a montée et mise en ligne après diffusion sur le site de l’antenne (si erreur d’accès copiez le lien et collez-le dans une fenêtre privée de votre navigateur).
Les participants
Chacun s’est présenté en esquissant sa position dans le débat.
Laurent Depieds, président de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA), défenseur des différentes filières agricoles et sensibles au sujet de l’agrivoltaïsme. En divergence avec les instances nationales de la fédération (FNSEA) sur ce sujet aux côtés du Conseil départemental des jeunes agriculteurs (CDJA), il soutient l’agriculture productrice de nourriture contre tout dispositif que la menacerait.
Mme Lorraine Prunet, porte-parole de la Confédération paysanne, un autre syndicat agricole, qui défend une agriculture vivante et nourrissante, dont le revenu doit provenir de l’activité agricole et non pas de soutiens artificiels comme la production d’énergie photovoltaïque ou agrivoltaïque.
Nicolas Ott, président bénévole de la SAS « Centrales Villageoises Lure Albion », portant un certain type de développement de l’énergie photovoltaïque par les citoyens. Il intervient aussi avec une vision des enjeux de la transition écologique en qualité d’expert puisqu’engagé dans le développement des énergies renouvelables depuis plusieurs années.
Matthias Guibert, éleveur agriculteur paysan et maire de Montjustin, petite commune proche de Reillanne, concerné par le sujet du photovoltaïsme agricole qui confronte ses deux fonctions et le place dans l’incertitude d’apprécier les aspects positifs et négatifs de cette technologie dans le monde rural.
Par ailleurs, M. Pierre Honoré, délégué par le conseil d’administration d’Amilure pour exprimer la position de l’association dans le débat. Elle reprend notamment à son compte un texte émis par une coordination nationale des organisations en lutte contre les centrales photovoltaïques sur les terres agricoles, naturelles, forestières et en milieu aquatique, refusant les dérives des énergies renouvelables prises dans des logiques de marché (Amilure est le signataire N° 106).
Enfin, Mme Séverine Charlon, adhérente depuis deux ans, résidente à Saint-Trinit sur le plateau d’Albion où, dans le cadre d’une association locale dont elle est membre active, elle a mené, avec le soutien d’Amilure, une lutte victorieuse contre un projet photovoltaïque menaçant un espace forestier patrimonial. Elle a accepté la mission d’animer le débat dans le cadre de cette réunion.
Agrivoltaïsme : production d’énergie ou production agricole ?
Après avoir présenté le débat, Mme Charlon suggère un premier sujet à tous : qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ? Une production d’énergie ou une production agricole ?
La réponse des divers intervenants fait apparaître un net consensus.
Pour les représentants des syndicats agricoles, Mme Prunet et M. Depieds, il s’agit de production d’énergie, quel que soit le dispositif technologique mis en place (toits de hangars, serres, ombrières sur cultures…). C’est un complément de revenus mais ce n’est pas de l’agriculture. Une motion quasiment identique a été signée par les deux syndicats agricoles principaux à l’intention de la Chambre d’agriculture régionale, qui va dans ce sens : dès qu’une emprise est faite sur des terres agricoles on peut craindre que cela pénalise l’activité agricole et la réduise. C’est l’agriculture qui doit rester la priorité de ce métier, et non la fourniture d’énergie.
M. Ott remarque qu’on n’a pas de retour d’expérience suffisant pour juger le bénéfice de ces technologies. Il estime qu’il faut faire la distinction entre les équipements proposés par des professionnels pour une production d’énergie photovoltaïque censée améliorer les cultures (ombrage ou protection thermique) et d’autres placés sur des toitures de hangars agricoles ou des espaces déjà artificialisés comme des parkings d’engins ou de véhicules qui produisent aussi de l’électricité sans impact sur l’agriculture ni l’élevage.
M. Honoré indique que pour les associations qui s’opposent à l’intrusion de la production électrique dans l’espace naturel, forestier et agricole, signataires du texte précité, le terme « agrivoltaïsme », relève du marketing et vise à légitimer un opportunisme foncier et financier dans un contexte difficile pour le monde paysan. L’agrivoltaïsme éloigne de l’autonomie : il ajoute à la dépendance au complexe agro-industriel une autre dépendance plus moderne, car porteuse de l’image de l’énergie renouvelable
M.Guibert relate l’expérience concrète du démarchage des opérateurs de projets photovoltaïques qui, dans leur quête de foncier, mettent en avant la « synergie » entre l’agriculture et la production électrique. Etant lui-même concerné par le pastoralisme, il aurait même déjà entendu le terme de « pastovoltaïsme » pour un équipement produisant de l’ombre pour les bêtes, avec une clôture autour du troupeau pour le protéger de la prédation du loup. D’après lui ces arguments peuvent abuser certains éleveurs qui voient là une solution à leurs problèmes sans comprendre que cela modifierait complètement les pratiques paysannes, ajoutant une dangereuse dépendance du monde agricole vis-à-vis de la production d’énergie, ce qu’il ne souhaite pas.
Compatibilité des impératifs de l’industrie et de l’agriculture
Une des caractéristiques clés de l’agriculture est l’obligation de s’adapter aux conditions changeantes, à varier les cultures d’une saison à l’autre, et à réagir aux aléas climatiques. En revanche, l’industrie photovoltaïque requiert souvent des investissements massifs en infrastructures, des installations fixes et durables. Mme Charlon demande aux intervenants comment ces logiques apparemment contradictoires peuvent être conciliées.
Les réponses convergentes de chacun se construisent sur la situation de notre département, zone de montagne faiblement peuplée et fortement ensoleillée. De ce fait, l’économie agricole est malmenée, tandis que les potentiels énergétiques sont importants, d’où le risque réel d’un détournement des ressources. M. Guibert et Mme Prunet y voient une fragilité concrète pour la paysannerie.
En outre, on répète sans cesse que dans cinq ans la moitié des agriculteurs prendront leur retraite – on ne sait pas trop qui va les remplacer. Mais ce qu’on constate, c’est que le prix du bâti sur les fermes a explosé, les rendant déjà intransmissibles aux jeunes agriculteurs. Si l’on y ajoute encore des équipements photovoltaïques, cela va les rendre encore plus inaccessibles. La question du montant de la retraite des agriculteurs, minimal, engendre aussi une incitation pour certains à s’assurer un revenu complémentaire en cédant aux propositions des opérateurs.
Un axe évoqué par M. Depieds pour limiter les atouts attractifs de l’agrivoltaïsme serait de développer des politiques de réel soutien à l’agriculture, plutôt que de l’asphyxier comme on en a souvent l’impression. Actuellement, compte tenu des difficultés climatiques, hydriques et pédologiques des agriculteurs, les compléments énergétiques pourraient provoquer l’abandon de pratiques agricoles en chaîne.
M. Ott dénonce les risques de l’agrivoltaïsme vertueux, par exemple les ombrières, dont le bénéfice à long terme est loin d’être prouvé, justement à cause de l’opposition entre les besoins de souplesse de l’agriculture et ceux de stabilité de la production d’énergie, qui se pense sur des temps longs. Il donne aussi l’exemple de l’Espagne où la logique de l’autoconsommation a été encouragée pour un résultat économique positif auprès de l’utilisateur final – sans que la révolution agrivoltaïque n’ait été nécessaire. Les Espagnols auraient installé l’année dernière autant de puissance en autoconsommation chez les particuliers et les professionnels que ce qu’on a installé en France en grandes centrales toutes énergies confondues.
M. Depieds rappelle que la FRSEA a demandé aux opérateurs agrivoltaïques de produire des expériences sur le long terme et d’en rendre compte – les opérateurs auraient refusé. C’est pourtant la demande de chacun : des chiffres prouvés sur l’impact agricole des panneaux.
Quels sont les projets qui s’annoncent ?
Mme Charlon demande aux panélistes ce qui se prépare selon eux.
Le consensus se fait sur les imprécisions de la situation, que la loi d’accélération contribue à flouter. Il est nécessaire de faire porter par les différentes institutions la prudence requise pour maintenir les surfaces agricoles. Du point de vue du pastoralisme, la multiplication des centrales rend les parcours de plus en plus difficiles. Enfin un autre enjeu vient compliquer la situation : celui des zones de compensation carbone, principalement pour les grandes entreprises – ces espaces deviennent inaccessibles aux troupeaux.
Par ailleurs, les impératifs de rentabilité de l’industrie, demandant des surfaces investies de plus en plus grandes, sont incompatibles avec l’échelle de la plupart des exploitations.
Questions du public
Quelques personnes dans la salle se sont ensuite exprimées.
L’une d’elles a suggéré que, compte tenu de l’apparente similitude de vues, les invités de la table ronde signent une lettre à l’intention des différentes instances dirigeantes.
Une autre s’inquiète de risques non suffisamment pris en compte : le réchauffement potentiel au-dessus des panneaux photovoltaïques, l’attrait dangereux auprès des insectes et des oiseaux, l’impact sur les parcours de la faune, et les risques de feu des panneaux photovoltaïques qui se multiplieraient.
Enfin, la maire de Montlaux, Mme Camille Feller, qui accueillait cette assemblée, a rappelé que ce sont les maires qui devront trancher sur la faisabilité des projets agrivoltaïques, alors qu’ils ne sont pas forcément compétents pour le faire et qu’ils risquent des affrontements avec leurs administrés à ce sujet – comme l’avait souligné M. Guibert. Elle indique que notre sous-préfète, à Forcalquier, ne souhaite pas aborder ces projets avant que les décrets d’applications qui les concernent ne soient publiés.
Image d’en-tête © TSE
Nous avons une expérience de 3 ans sur notre serre tropicale de 1000m2 qui n’a pas vocation à la production agricole, avec des panneaux PV à 50% de cellules qui laissent donc passer 50% de la lumière.Ceci permet aux plantes de pousser normalement. Ces panneaux servent à la production de chaleur via des PACS pour en obtenir suffisamment en auto-production. Nous sommes tres heureux de n’émettre ni consommer aucun combustible ni donc ne dépenser aucun argent.
Merci pour votre commentaire. Il y a certainement des applications judicieuses d’énergies renouvelables, notamment en photovoltaïque, à coupler avec toutes sortes d’activités – comme par exemple votre serre, ce dont vous pouvez légitimement vous féliciter.
Mais le sujet de cette table ronde était la menace industrielle qui pèse sur l’agriculture, par un impact à grande échelle sur le paysage mais surtout sur l’économie de la filière, où les agriculteurs risquent d’être détournés de leur métier pour devenir fournisseurs d’électricité. L’effet sur les vocations et l’état des terres serait catastrophique pour la filière agricole et le pays. Et pourtant, l’état actuel du décret sur l’agrivoltaïsme permet 40% de couverture photovoltaïque des surfaces agricoles – l’INRAE, l’autorité scientifique en la matière, préconise un maximum de 15%, comme l’association des jeunes agriculteurs et plusieurs branches régionales de la FNSEA.
N’ayant pu rester après la partie AG, je félicite la ”table ronde” pour cette très bonne approche du projet. J’ajouterais que compte tenu du haut degré de protection des parc PV aujourd’hui, je vois mal comment y faire entrer des troupeaux ou des engins agricoles…..
Un enregistrement pour Radio Zinzine a eu lieu lors de cette table ronde… pourriez vous mettre le lien s’il vous plaît?
Merci par avance