Richard Fay, naturaliste et sylvophile, membre d’Amilure, de notre comité étendu des veilleurs, et sympathisant très actif, nous fait parvenir ce texte sur les menaces que l’actualité politique fait peser sur nos forêts.
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En guise d’introduction
Les projets de production photovoltaïque en espaces naturels boisés explosent dans les Alpes du Sud, malgré un environnement de connaissances et de textes défavorables. Un focus sur le territoire Lure-Albion fait apparaitre 12 installations existantes et 25 projets déposés (respectivement 110 ha et 550 ha). L’administration cuisine l’urgence climatique et les appétits financiers s’invitent à la table. Les entorses aux procédures sont telles que les juristes parlent aujourd’hui d’atteinte au principe de non-régression du droit de l’environnement.
Je n’aborderai pas les valeurs esthétiques, sociales, patrimoniales, des forêts, bien que je leur accorde une place tout aussi importante dans la lutte contre les désordres climatiques dont nous sommes la cause. Je fais ci-dessous un tour d’horizon des raisons qui à mon sens devraient motiver tout citoyen, tout élu, responsable, à refuser aujourd’hui l’implantation des centrales photovoltaïques dans les espaces forestiers et agricoles.
Peut-être viendrons-nous à occuper les espaces naturels, en une dernière extrémité désastreuse, si nous ne parvenons pas à changer nos modèles de production et à restreindre notre consommation d’énergie. Mais en attendant, la production d’électricité photovoltaïque a vocation à utiliser les surfaces artificialisées des toitures, des ombrières, des équipements autoroutiers, etc., et les sols dégradés, et non les forêts et les cultures.
Les forêts puits de carbone
La fabrique du bois
Dans le végétal, le processus de photosynthèse transforme l’énergie solaire en énergie chimique, et permet l’utilisation du carbone de l’air pour la fabrication des tissus et du bois. Dans le même temps, le végétal respire et rejette du gaz carbonique. Comme le carbone est capté en plus grandes quantités que le carbone rejeté, on décrit la forêt comme un puits de carbone terrestre : le CO2 absorbé par la photosynthèse est nettement supérieur aux émissions de la respiration.
L’arbre emmagasine ainsi du carbone pendant sa croissance. Et plus une forêt est âgée, plus son stock de carbone est important. Bien qu’une partie du carbone capté retourne dans l’atmosphère lors de la décomposition des parties mortes (sous forme de gaz CO2, CH4…), une bonne partie reste dans le sol, sous des formes plus ou moins stables pour une durée allant de quelques mois à quelques milliers d’années. Des travaux récents montrent que la production de phytomasse, autre façon d’apprécier le stockage du carbone, demeure positive dans les forêts anciennes et matures âgées de plusieurs siècles.
Cet effet bénéfique des peuplements forestiers est contrarié par des accidents d’origine naturelle ou humaine, qui conduisent au rejet de carbone contenu dans l’arbre et dans le sol. C’est le cas de l’incendie, des coupes rases, et de la déforestation, qui tous provoquent un relargage massif de CO2 dans l’atmosphère. Ils diminuent le stock de carbone de manière durable, ainsi la forêt défrichée se transforme en source de carbone, tout comme la forêt incendiée.
L’usage du sol et le stockage de carbone
Le carbone stocké par un écocomplexe naturel (un groupement fonctionnel d’écosystèmes comme la forêt) se compose de la biomasse vivante et morte (les végétaux, les champignons, les lichens, les racines, le bois mort, la litière, les micro-organismes…), et de la matière organique décomposée migrant dans le sol.
Dans nos régions tempérées, on constate que la biomasse aérienne des forêts présente un stock équivalent à celui des sols qu’elles occupent (moyenne 79 tC/ha), et que le sol d’une forêt et celui d’une prairie naturelle contiennent à peu près autant de carbone (moyenne 70 tC/ha, sensiblement le double des sols cultivés). A cela s’ajoute le bois mort et la litière pour en moyenne 16 tC/ha. Finalement, le stock de carbone d’une forêt est plus du double de celui d’une prairie naturelle sur un sol équivalent.
La Forêt génère de la pluie – recyclage des précipitations
Une grande partie de l’eau évaporée et transpirée à partir d’un territoire contribue aux précipitations sur le territoire considéré. On appelle ce phénomène le recyclage des précipitations.
Les arbres envoient de très grandes quantités de vapeur d’eau dans l’atmosphère, mais également des molécules qui permettent à cette vapeur d’eau de s’y fixer et de tomber sous forme de pluie. (Lire à ce sujet La vie des arbres.)
Les bassins versants sont comparables à des châteaux d’eau alimentés par les pluies. Les pluies continentales ont pour origine principale l’eau évapotranspirée localement des couvertures agricoles et forestières, et pour origine secondaire l’eau lointaine évaporée des mers et apportée par les vents. Les arbres ont de tout temps joué un rôle important pour garantir le bon fonctionnement du cycle de l’eau, par l’évaporation et la transpiration sur l’écran des feuillages, et par le ralentissement du drainage dans le sol.
Ce cycle est aujourd’hui rompu par deux causes manifestes : l’augmentation de la chaleur qui accroit l’évapotranspiration et qui ralentit la condensation (il pleut moins), et par l’urbanisation des sols qui accélère le drainage (l’eau retourne plus vite à la mer). On peut ajouter à ces causes la diminution de la biomasse des terres cultivées qui rend les sols plus perméables.
Cette conjonction conduit à un déficit de précipitations terrestres et contraint la végétation à s’adapter. Si on lui laisse de la place et du temps, un équilibre nouveau pourra s’installer entre le sol et la végétation soumise aux températures – sans, cependant, que nous retrouvions naturellement les précipitations d’avant. D’où ce paradoxe : ce n’est pas parce qu’elles manquent d’eau qu’il n’y a plus de forêts, mais c’est parce qu’il n’y a plus de forêts que l’eau manque.
Les surfaces occupées par la forêt diminuent
Les surfaces forestières reculent, contrairement aux idées fausses, et ce recul aggrave les effets du réchauffement climatique.
En région PACA, l’étalement urbain est la principale cause de réduction des espaces naturels et agricoles : 6 000 ha ont été consommés entre 2006 et 2014, soit 750 ha/an sur 8 ans – c’est plus qu’inquiétant.
La superficie d’espaces naturels et agricoles supprimés dans le département des Alpes de Haute Provence est de 2 720 ha en 8 ans, soit 340 ha/an dont 88% d’espaces naturels. C’est plus que la forêt communale de Cruis, dont la superficie est de 1 908 ha.
Prenons de la hauteur. Entre 1990 et 2020 sur la planète Terre, le solde net des forêts défrichées a été de moins 178 millions d’hectares (un recul brut de 420 millions d’hectares), avec un solde net annuel de moins 4,7 millions d’hectares par an entre 2010 et 2020. En 10 ans, mondialement, c’est pratiquement l’équivalent de la superficie de l’Espagne qui a été défriché.
Ce sont des pertes catastrophiques par les temps qui courent, car le sol est une ressource non renouvelable à l’échelle de temps des activités humaines. Il faut plusieurs milliers d’années pour faire un sol forestier.
Concernant le dilemme des espaces sacrifiés pour la production d’énergie renouvelable, ne perdons pas de vue que le département 04 participe depuis longtemps aux EnR, puisqu’il en produit entre 3 TWh et 4 TWh selon les années et en consomme 1,2 TWh (source : RTE).
Les avis et règlements
Les avis et règlements sont unanimes à souligner la nécessité de préserver les espaces naturels forestiers et agricoles.
L’avis du GIEC
En matière d’agriculture, de forêt et de changement d’occupation des sols, les leviers les plus efficaces restent la séquestration du carbone dans les sols agricoles, notamment en améliorant leurs teneurs en matière organique et la réduction voire l’arrêt de la déforestation. La lutte contre le gaspillage alimentaire et la conversion vers une diète plus durable et moins carnée comptent pour une moindre part.
L’avis de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement, et du Logement (DREAL)
Le développement du solaire photovoltaïque doit se faire en priorité sur les bâtiments et les terrains anthropisés et éviter les espaces naturels, forestiers et agricoles.
Les espaces agricoles, notamment cultivables ou utilisables pour des troupeaux d’élevage, n’ont pas vocation à accueillir des parcs photovoltaïques. Leur utilisation est fortement déconseillée et ne pourra être envisagée que sous réserve de vérifier qu’il s’agit de terres non cultivables et sans enjeux environnementaux. À noter une prééminence de cet enjeu dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, du Var et du Vaucluse.
Les espaces forestiers, comme les espaces agricoles, n’ont pas vocation à accueillir des parcs photovoltaïques. Avec ou sans gestion et exploitation forestière (ou cynégétique), ils présentent souvent des enjeux en termes de paysage et de biodiversité, y compris dans le maintien de continuités écologiques. Outre ces fonctions écosystémiques, la forêt a vocation à rendre d’autres services environnementaux (dans l’hydraulique du bassin versant, le cycle de l’eau, en tant que puits de carbone…), et elle peut aussi assurer un rôle d’accueil du public et dans la protection des biens et des personnes contre certains risques naturels.
Cadre régional pour le développement des projets photovoltaïques en PACA – février 2019
L’avis de l’Europe
Nos forêts et nos terres ont un énorme potentiel pour atténuer les effets du changement climatique. À nous d’en faire un usage intelligent et respectueux du climat.
Pour atteindre les objectifs du pacte vert, aider à restaurer la biodiversité et devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici à 2050, nous avons besoin de puits de carbone naturels et sains. Il y a lieu pour ce faire d’inverser d’urgence la tendance négative actuelle ; la quantité de CO2 que les forêts et les sols européens extraient en permanence de l’atmosphère a en effet reculé de quelque 20 % entre 2013 et 2018.
La Commission de l’Environnement propose de mettre en place des objectifs contraignants pour les États membres afin qu’ils augmentent leurs absorptions nettes de carbone dans le secteur de l’utilisation des terres et de la foresterie entre 2026 et 2030.
La loi montagne
Si ces dispositions n’interdisent pas d’urbaniser une zone agricole, pastorale ou forestière, elles impliquent de n’admettre l’urbanisation de ces terres que pour satisfaire des besoins justifiés et dans une mesure compatible avec le maintien et le développement des activités agricoles, pastorales et forestières.
Code de l’urbanisme article L. 122-10 ; loi montagne
Le code forestier
Les forêts, bois et arbres sont placés sous la sauvegarde de la nation. Sont reconnus d’intérêt général : la protection et la mise en valeur dans la cadre d’une gestion durable ; la conservation de la biodiversité forestière ; la protection de la ressource en eau et de la qualité de l’air ; la préservation de la qualité des sols forestiers ; le rôle de puits de carbone par la fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage du carbone dans les sols forestiers.
Dispositions communes à tous les bois et forêts
En lisant cet article L112-1, on est en droit de demander par quel biais les responsables de l’ONF chargés de faire respecter le Code forestier en viennent à formuler un avis favorable au remplacement de la forêt publique par des panneaux solaires et des onduleurs.
La prise de conscience des enjeux, vitaux pour l’humanité, associés à la forêt ne date pas d’hier, comme en témoigne cette dernière citation datant de 1827 :
La conservation des forêts est un des premiers intérêts des sociétés, et par conséquent l’un des premiers devoirs des gouvernements. Tous les besoins de la vie se lient à cette conservation. […] Nécessaires aux individus, les forêts ne le sont pas moins aux Etats. […].
Ce n’est pas seulement par les richesses qu’offre l’exploitation des forêts sagement combinée qu’il faut juger de leur utilité. Leur existence même est un bienfait inappréciable pour les pays qui les possèdent, soit qu’elles protègent et alimentent les sources et les rivières, soit qu’elles soutiennent et raffermissent les sols des montagnes, soit qu’elles exercent sur l’atmosphère une heureuse et salutaire influence.
Extrait du discours du Comte de Martignac à la Chambre, lors de la présentation du Code forestier de 1827
Un dernier commentaire en conclusion
Il n’existe pas d’espace naturel « improductif », quel que soit son couvert boisé, dès lors qu’on parle biologie. Et rien n’explique aujourd’hui qu’on défriche des espaces naturels pour planter des panneaux solaires, hormis la recherche de l’argent alliée à l’indifférence du vivant.
Richard Fay – 28 octobre 2022
La loi ENR autorise les coupes à blanc jusqu’à 25 hectares par demande d’autorisation. Elles vont donc être multipliées. Les lois montagne et littoral sont affaiblies et en discontinuité avec l’urbanisation les boisements de versants sud vont être rasés afin d’y installer des parcs photovoltaïques induisant, entre autres, des risques géologiques.
La RIIMP va permettre sauf exceptions “trop voyantes” de déroger plus facilement à la protection des espèces y compris “mal classées” par l’IUCN. Les possibilités de recours juridiques seront également limitées.
Est-il vraiment indispensable de détruire irrémédiablement la montagne, le littoral, le domaine public maritime et une partie de la zone économique exclusive et la résilience des écosystèmes pour produire de l’électricité qui servira à regarder sur des smartphones les meilleurs façons de sauver la planète?
chrystophe grellier pour l’Atelier Anonymus
Merci beaucoup pour ce papier très clair et très pédagogique. Plus réaliste que la nouvelle de Giono, L’homme qui plantait des arbres !!! Mais comment arriver à s’opposer efficacement à ces grands projets destructeurs…
Le capitalisme ,ici international, fait feu de tout bois … salit tout ce qui peut rapporter à ses actionnaires;de Lure au Larzac pour le sud de la France ;mais au Larzac, où les paysans ont gagné contre l’ armée, nos capitalistes et leurs complices vont avoir du mal … donc, nous devons informer autour de nous , aller vers la population qui adore nos forêts; avec des médias libres comme Reporterre.net; on lâchera rien !! un apiculteur , membre de la confédération Paysanne qui soutient la résistance au Larzac et partout ailleurs contre l’injustice
Bravo pour cet article édifiant ! Complètement d’accord pour que les projets Photovoltaïques se fassent sur les espaces non nuisibles à l’objectif de préservation de la planète. Avant tout projet notamment, un inventaire des sites et espaces artificialisés devrait être une obligation des collectivités locales.
Bravo et merci pour cet excellent article, avec sa conclusion si vraie et si triste. Tout le monde devrait comprendre que ce n’est vraiment pas le moment de défricher…
Très convaincant.