La France s’est fixé un objectif de 10% de gaz renouvelable, le biométhane, dans ses réseaux de gaz d’ici 2030.
Les unités de méthanisation ont doublé en trois ans, encouragées par l’État comme en témoigne l’essor de la filière : on comptait 200 méthaniseurs en France en 2010, et 809 au début 2020 – un chiffre qui pourrait doubler dans les prochaines années.
En matière EnR (énergies renouvelables), la méthanisation est peu connue des Français. Selon un sondage de l’ADEME, en 2018 seulement 2% de la population connaissait le terme ! Pourtant, la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) fait jouer à cette filière un rôle majeur en prévoyant une production passant d’environ 1 TWh (un térawatt/heure, soit un milliard de kilowatts/heure) en 2019 à 25 TWh en 2030.
La méthanisation, comment ça marche ?
En termes simples, on récolte de la matière organique (déchets agricoles, ordures de collectivité, boues d’épuration, etc.) qui est chauffée et brassée pendant 1 à 2 mois dans un méthaniseur pour obtenir une fermentation qui produit du biogaz de composition variable (essentiellement méthane et 20 à 40% de CO2, suivant les matières utilisées et les conditions de la méthanisation) et laisse en fond de cuve un résidu, le digestat.
Le digestat peut servir d’engrais sur les exploitations agricoles sous réserve de surfaces disponibles pour l’épandage, ou être traité pour exportation. Le biogaz quant à lui, peut produire de la chaleur, de l’électricité ou être purifié en biométhane pour être injecté dans le réseau de gaz, s’ajoutant au gaz naturel d’origine fossile.
Si nous décortiquons le processus de méthanisation, nous pouvons identifier trois étapes : (1) les intrants, (2) la méthanisation en soi, (3) la gestion du digestat et (4) la valorisation du biogaz.
Les Intrants
Les principaux intrants peuvent être classifiés comme suit :
- les déchets agricoles : lisier de porcs et de bovins, fumier de porcs et de bovins, fientes de volailles, résidus de cultures de maïs, de céréales, etc. ;
- les déchets de collectivité : tontes de pelouses, fauches de bords de routes, biodéchets de restauration collective ;
- les déchets de l’industrie agroalimentaire : graisses animales ou végétales, fruits, légumes ;
- les biodéchets triés des déchets ménagers ;
- les CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique), soit des cultures implantées et récoltées entre deux cultures principales dans une rotation culturale.
Le pouvoir méthanogène de ces différents intrants (c’est-à-dire la quantité de méthane qu’il peut produire) n’est pas le même pour tous. Certains intrants peu méthanogènes permettent toutefois d’entretenir un bon équilibre physico-chimique dans le digesteur. Le mix des intrants est donc primordial pour garantir un rendement optimal de l’unité de méthanisation.
Le premier défi consiste ici à s’assurer de la disponibilité des matières sur le long terme. C’est aussi là ou réside la principale inquiétude, comme le remarque France Stratégie, soulignant le besoin « d’une évolution globale du modèle agricole » avec une vision « transversale et planifiée des enjeux associés », puisqu’il faudra arbitrer « la répartition entre production alimentaire et non alimentaire »
Le risque principal est donc que l’agriculteur ne travaille plus pour vous nourrir mais pour nourrir les méthaniseurs !
Afin de concilier les usages alimentaires et énergétiques des terres, en évitant de développer de sources d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires (engrais, processus industriels de transformation), France Stratégie préconise « un renforcement du dialogue entre filières et secteurs au sein des territoires » pour déboucher sur une « conception débattue et partagée » plaçant « les agriculteurs au cœur de ce projet ». Compte tenu des clivages profonds entre les organisations agricoles d’une part et d’autre part les ONG et le public, une telle concertation sera très probablement houleuse. Elle reste cependant nécessaire.
Le deuxième problème des intrants est leur transport depuis le lieu de collecte/culture jusqu’au méthaniseur. Selon certains calculs, on peut compter jusqu’à 13 000 passages de camions par an et par méthaniseur (soit plus de 35 par jour). Cet important trafic routier a un prix : des nuisances locales, un trafic accru et des routes de campagne défoncées qu’il faudra bien, un jour, rénover, peut-être aux frais de la collectivité.
La méthanisation
La décomposition des intrants dans le méthaniseur et la production de gaz implique de facto des risques d’incendie, d’explosion, d’intoxication, d’anoxie pour les opérateurs ou de pollution.
Le site d’information écologique Reporterre cite dans son article « Méthanisation : la fuite en avant de l’agro-industrie » un certain nombre d’événements récents :
Comme le biogaz est inflammable, partout en France, il flambe. Rien qu’en 2019, un silo du méthaniseur en construction à Plouvorn (Finistère) a explosé en juin, suivant des incendies similaires à Sauveterre-la-Lémance (Lot-et-Garonne) en février et à Saint-Gilles-du-Mené (Côtes-d’Armor) en juillet. Un service de l’État, l’Aria, liste des dizaines d’incendies de méthaniseurs, des big bags de charbon actif qui brûlent, des fuites de gaz, des eaux polluées avec poissons crevés alentour, une cuve qui se disloque, les eaux de lessivage ou les lixiviats qui débordent, un gazomètre qui explose, une double membrane qui éclate, une vis d’alimentation qui s’est fissurée.
Méthanisation : la fuite en avant de l’agro-industrie
Il est aussi important de rappeler que le méthane, en cas de fuite, est 25 fois plus puissant que le gaz carbonique pour l’effet de serre. Le risque n’est donc pas mineur.
Notons par ailleurs que toute décomposition pose l’inévitable problème des odeurs. Les nuisances olfactives existent : il suffit de lire les témoignages de riverains excédés dans toute la France.
Ces odeurs peuvent avoir diverses origines : certains exploitants ne laissent pas suffisamment longtemps les matières dans le méthaniseur (parfois moins de 15 jours), il peut y avoir des fuites, ou encore une mauvaise filtration de l’air sortant.
Ces problèmes découlent d’une situation relativement ubuesque : la filière est largement en « auto-surveillance » – c’est-à-dire qu’elle n’est contrôlée par personne. Comme le relevait un commissaire enquêteur (selon Reporterre) : « On ne peut consciemment confier plus de déchets à des unités qui n’ont pas fait la preuve de leur sérieux et de leur capacité à prendre en considération les populations riveraines, la biodiversité et l’environnement. » Ce sujet sensible a été abordé lors d’une audition de la commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables. De nouveaux arrêtés sur les Installations classées protection de l’environnement (ICPE) portant sur la rubrique ICPE n°2781, spécifique à la méthanisation, ont été publiées au journal officiel en juillet 2021 établissant certaines contraintes obligatoire :
- augmentation de la distance par rapport au tiers à 100m en déclaration, 200 m en enregistrement et autorisation ;
- obligation de couvrir les stockages de digestat (en dehors des lagunes) ;
- assurer l’étanchéité des rétentions (y compris pour les sites existants) par un revêtement si la nature du sol ne permet pas une étanchéité suffisante ;
- la présence d’une torchère redevient obligatoire en déclaration et doit être à 10 mètres des digesteurs (15 m si la flamme est cachée) ;
- obligation de disposer d’un programme de maintenance préventive ;
- tenue à jour d’un registre des plaintes concernant les odeurs.
Cela reste toutefois assez léger compte tenu des risques inhérents à l’activité.
Le digestat
Les résidus du processus de méthanisation peuvent être utilisés comme engrais agricoles et sont présentés par la filière comme une alternative aux engrais chimiques.
Ce qui semble a priori une bonne idée soulève toutefois des problèmes : le digestat de la méthanisation de rejets animaux, par exemple, peut contenir des produits chimiques (pesticides et antibiotiques) si lesdits rejets émanent de fermes d’élevage conventionnel.
Par ailleurs, le digestat est lourdement chargé d’ammoniac (et occasionnellement de microplastiques) qui peut nuire aux nappes phréatiques, tuant au passage une partie de la faune présente dans le sol. Nous faisons donc face à un risque d’appauvrissement des sols et de pollution dans les zones d’épandage.
La valorisation du biogaz
Il existe trois principales utilisations du biogaz.
La cogénération
La cogénération reste la principale valorisation du biométhane : elle représente autour de 65% des installations en France en 2020.
Elle consiste à produire à la fois de la chaleur et de l’électricité à partir du biogaz. La combustion de gaz permet de faire tourner une turbine à vapeur qui produit de l’électricité. Mais ce processus dégage beaucoup d’énergie thermique qui est ici récupérée et utilisée directement comme telle.
La récupération de la chaleur permet d’atteindre un rendement global de 85% si toute la chaleur produite est utilisée.
Voir cet article pour un développement plus complet.
L’injection sur réseau
En revanche, l’injection sur réseau est la valorisation la plus dynamique, avec plus de 90 nouveaux sites raccordés entre 2019 et 2020 pour représenter 20% des installations, avec une prédominance pour les installations de type agricole et station d’épuration. Le gouvernement cherche à rediriger les flux vers l’injection, car c’est le levier principal pour décarboner le gaz du réseau, composé de gaz naturel émettant 227 gCO2e/kWh (l’unité gCO2e/kWh correspond aux grammes d’équivalent CO2 émis par kWh produit).
Le décret “droit à l’injection” et sa mise en application dans la délibération N°2019-242 de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) encadrent l’insertion du biométhane dans les réseaux de gaz. Les opérateurs de réseaux doivent se concerter pour définir le schéma de raccordement optimal des projets d’injection d’une même zone. L’objectif est de minimiser les coûts d’adaptation des réseaux supportés par la collectivité.
En effet, ces coûts d’adaptation des réseaux peuvent être pris en charge par les opérateurs, selon les critères technico-économiques définis par le décret “droit à l’injection”
Le carburant
Finalement, le biogaz peut aussi être utilisé comme carburant pour véhicule (GNV, gaz naturel pour véhicules). Il suit alors une série d’étapes d’épuration/compression. Cette valorisation s’est principalement développée en Suède, en Italie, en Allemagne et en Suisse. Elle est encore peu développée en France.
Le biogaz, un allié contre le réchauffement climatique
La feuille de route de la décarbonation de l’économie française fait une place importante à la méthanisation et son biogaz. Cette filière en pleine expansion est vertueuse du point de vue climatique dans la mesure où elle recycle des déchets pour produire du gaz, de l’électricité ou de la chaleur avec une empreinte carbone nettement inférieure à celle du gaz naturel.
En effet, selon Carbone 4, la production et la combustion biogénique du biométhane induisent 44 gCO2e/kWh en considérant l’ensemble du cycle de vie. La substitution du gaz naturel (227 gCO2e/kWh) par le biométhane permet ainsi de réduire 80% des émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, la production de biométhane à la ferme n’est pas anodine car elle modifie les habitudes agricoles. Elle permet notamment d’éviter les émissions dégagées par les intrants stockés habituellement en plein air (180 jours en moyenne, par rapport à 8 jours avec un méthaniseur). Ces émissions évitées dans la filière agricole sont de l’ordre de 75 gCO2e/kWh.
Afin de soutenir le développement de la filière, l’État a mis en place, depuis 2011 et jusqu’à 2026, un tarif d’achat spécifique au gaz injecté sur le réseau (entre 64 et 139 €/MWh, selon la capacité de l’unité de production) ainsi que des garanties d’origine associées. Les deux mécanismes sont opérationnels dès le début d’un projet.
D’après l’ADEME, au 1er janvier 2020 il y avait 809 unités de méthanisation en France. La majorité des installations, soit 532, produisaient de l’électricité par cogénération, 153 valorisaient la chaleur seule et 93 injectaient du biogaz dans le réseau de gaz. Les unités de méthanisation agricole « à la ferme » étaient les plus nombreuses en France : 531 unités pour un total de 809, soit 65%. Les autres filières de méthanisation étaient les installations de stockage des déchets non dangereux (ISDND) et les stations d’Epuration (STEP).
La majeure partie des installations sont donc de petite taille, avoisinant des débits à 100-150 m³/h, avec un coût de production qui se situe autour de 90 €/MWh. Quand on comparer au prix de gros du gaz naturel, qui est à 25 €/MWh courant 2021, on comprend l’absolue nécessité de ce tarif d’achat pour faire émerger la filière.
… mais qui comporte des risques.
Les détracteurs de la méthanisation estiment que ce procédé soutient l’agriculture productiviste, que ce soit par la valorisation des déchets animaux ou le risque de voir des surfaces cultivables dédiées à la fabrication d’intrants plutôt qu’à la consommation humaine.
Par ailleurs, l’autoréglementation de la filière n’est pas considérée suffisante au vu des risques inhérents au processus de méthanisation.
L’implantation d’une unité de méthanisation doit aussi respecter certaines contraintes, mais peut tout à fait être construite à seulement 200 mètres d’une habitation.
Enfin, il y a confusion entre la méthanisation dite « à la ferme », c’est-à-dire directement reliée à une seule exploitation et la méthanisation « agricole » qui regroupe plusieurs agriculteurs qui décident de monter un projet en commun. On change alors complètement d’échelle avec une multiplication des risques énoncés précédemment.
Et c’est probablement là où le bât blesse, car la valorisation des rejets de l’élevage n’est pas une mauvaise idée, limitant les gaz à effet de serre tout en offrant une énergie renouvelable en circuit court. Mais ce modèle n’a de sens que pour les petites installations, à l’échelle d’une ou deux fermes. L’industrialisation comporte des risques importants comme, du reste, dans bien d’autres domaines énergétiques !
Les dérives d’une industrialisation à outrance (et de trop généreux appuis du gouvernement) ont poussé l’Allemagne à freiner le développement de la filière. Il serait peut-être bon de nous inspirer de leur expérience.
L’institut Carbone 4 relève que trois générations de production du biométhane sont envisageables : La première génération correspond à la méthanisation, qui est au centre de cet article. La deuxième génération comprend deux voies de production, pour un horizon de temps de maturité à partir de 2030 :
La dernière génération est encore plus prospective : cultiver des microalgues pour nourrir les digesteurs via le même procédé de méthanisation. |