Voici un texte élaboré dans le cadre de l’intercollectif de Lure, issu de notre AG 2024 qui réunissait associations et collectifs locaux autour de la question de la lutte généralisée contre l’invasion industrielle des énergies renouvelables, notamment photovoltaïque.
Une autre tribune a trouvé preneur sur Mediapart.
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L’illustration le montre très clairement : en pays de Lure, principalement le versant sud de la montagne (comme il se doit), nous sommes encerclés, assiégés par les extracteurs de soleil déployés en un arc qui va d’une extrémité du massif à l’autre, du Contadour à la Durance. Pour endiguer la stratégie d’étouffement photovoltaïque des opérateurs industriels, des foyers de résistance ont dû être constitués, des barricades administratives se sont levées, des citoyens se sont organisés.
Ces gens qui résistent, c’est nous, habitants du territoire regroupés en collectifs et en associations. Nous ne sommes ni extrémistes, ni violents, ni même souvent des idéologues convaincus. Parmi nous on vote à droite comme à gauche. Nous sommes des habitants qui refusons simplement d’être les victimes d’une politique énergétique sans tête, mue par le bulldozer d’un lobby que propulse la perspective de profits indécents, sans réel impact en matière d’émissions ni de climat. La pression de l’industrie sur l’Etat est immense et ses représentants locaux ont pour consigne préfectorale de faciliter le saccage – qu’ils appellent « énergie verte ».
Ce n’est pas normal. On finit par prendre pour acquis un certain bruit de fond exprimant la grogne populaire, et on avance. C’est le chien qui aboie et la caravane qui passe. Mais cette grogne, qui se propage ainsi de façon quasi systématique, ne devrait pas être une fatalité. C’est le signe d’un malaise profond, d’un sentiment d’abandon, d’incohérence et de déni – déni de démocratie autant que d’écologie. Ce malaise doit être confronté, compris et géré.
Ce n’est pas normal qu’on trouve normal le soulèvement des populations contre de nombreux projets qui jouissent pourtant de l’aval bienveillant des administrations. Des technocrates citadins offrent aux industriels des moyens conséquents permettant de contourner toute considération patrimoniale, d’ordre naturel et culturel, et dans les campagnes on voit le tsunami arriver, bardé d’injonctions ministérielles et de lubrification préfectorale, dopé par la cotation boursière.
Nous n’existons pas, ou si peu – une poignée. Nous empêchons seulement de tourner en rond. Nous ne sommes pas raisonnables, pas informés. Nous sommes contradictoires : nous parlons d’écologie et nous nous battons contre des projets d’énergie décarbonée. Nous sommes donc forcément indignes d’avoir voix au chapitre. Nous sommes un mal nécessaire, qu’on réduit à l’impuissance avec le temps.
Nous, ruraux de ces régions qui comptent des dizaines de milliers d’hectares propres à la production d’énergie solaire, sommes pourtant les seuls à même de mesurer l’impact de l’aberrante progression des centrales. Nous tentons seulement de le faire comprendre – encore faudrait-il qu’on nous écoute. Il suffirait qu’on intègre dans l’équation le point de vue des habitants, qui peuvent à la rigueur sacrifier un bout de paysage si c’est bien géré, et s’ils sont impliqués dans le projet, mais qui ne supportent pas de voir les forêts défrichées et les cultures dénaturées (agrivoltaïsme) au prétexte de l’assèchement éventuel des puits de pétrole, et sans qu’on leur demande leur avis.
Dans un carré d’à peine 30 km de côté, on compte près de 400 ha en construction ou en exploitation, et près de 300 (connus) en projet – voir illustration. On dénombre sur le même territoire une dizaine de rassemblements citoyens regroupant des centaines de personnes cherchant à freiner la machine, soutenues par des centaines d’autres qui les appuient. Ces chiffres représentent une réalité. Ce n’est pas une chimère. Qui les prend en compte ?
Dans une récente tribune[1], d’anciens ministres et hauts fonctionnaires, d’anciens dirigeants des grandes entreprises énergétiques françaises, d’anciens grands industriels, même, dénoncent le non-sens économique de la politique énergétique française actuelle. Et en juin dernier, le CNPN (Centre national de la protection de la nature) a délibéré spontanément par un long rapport mettant en garde contre les abus photovoltaïques au détriment de la nature, en rappelant que les espaces anthropisés sont à investir en priorité. Ces gens n’ont rien à voir avec de petits collectifs de Haute-Provence qui piaillent dans les collines. Et pourtant, ils ne sont pas plus entendus.
Quelques victoires juridiques ont été remportées contre les industriels, après 4 ans de procédure menée par Amilure pour faire triompher l’avis du CNPN contre la société Boralex pour sa centrale de Cruis – 4 ans pour que le ministère soit finalement contraint et forcé de reconnaître l’avis de cette institution qui en dépend. Le même délai fut nécessaire pour obtenir la révocation du permis de défrichement d’Engie Green sur une zone humide au village d’Ongles. Cet entêtement est incompréhensible.
Pour resituer les enjeux locaux (sociaux, écologiques et économiques) dans un processus de décision démocratique, il est nécessaire d’introduire une phase de validation locale. Un projet ne devrait pas être imposé aux habitants s’ils le rejettent.
Nous demandons pour chaque projet d’énergie renouvelable une consultation publique réelle, plus transparente, plus annoncée et mieux documentée que les enquêtes publiques actuelles – menées par des commissaires souvent partiaux et jamais particulièrement compétents en la matière. Nous attendons aussi de véritables réunions publiques et l’obligation pour les opérateurs de fournir des réponses satisfaisantes aux inquiétudes de la population. Nous exigeons la communication du volet économique détaillé de chaque projet – investissements, fonctionnement, recettes attendues, redevances aux ayants droit.
C’est cette transparence et cette ouverture à la population qui pourront garantir l’adéquation des projets et l’adhésion des habitants – conditions nécessaires pour une production intelligente d’énergie décarbonée.
Les rassemblements citoyens d’Aubignosc, de Banon, de Cruis, de Limans, de Lurs, de Mallefougasse-Augès, des Omergues, d’Ongles, d’Oraison, de Redortiers, et avec l’association des Amis de la Montagne de Lure (Amilure).
[1] « Nous dénonçons le développement à marche forcée des énergies renouvelables », Le Point, 1er décembre 2024