100% de renouvelable en France ? Pour l’instant, seulement sur papier.
Répondant à une commande du ministère de la transition énergétique, la RTE (réseau de transport et d’électricité) et l’AIE (agence internationale de l’énergie) ont publié un rapport portant sur les conditions de faisabilité technique de scénarios à forte pénétration de renouvelables en France. Une synthèse de ce rapport est publiée par l’AIE (ou IEA en anglais) dont le mandat est d’observer l’évolution des équilibres énergétiques à l’échelle internationale, car l’enjeu est planétaire.
L’étude se concentre sur les aspects techniques, et exclut explicitement de son champ d’analyse les questions de faisabilité socio-économique (notamment les coûts des scénarios et leur acceptabilité sociale), ou encore d’impacts environnementaux (dont les gaz à effet de serre) et industriels.
Ces questions, essentielles pour éclairer nos choix de mix électrique (le cocktail des différentes sources d’électricité nécessaires à notre consommation), sont actuellement au cœur du travail en cours par RTE dans le cadre de son bilan prévisionnel à long terme, dont la parution est prévue à l’automne 2021.
Pour rappel, les engagements de La France d’ici 2050 impliquent un recours accru à l’électricité décarbonée pour de nombreux usages, notamment les transports qui constituent une source importante d’émissions de dioxyde de carbone. Cet objectif ne s’exprime pas en volume d’émissions mais en neutralité carbone, c’est-à-dire qu’à cette date, toute production de CO2 devra être compensée en proportion identique par des dispositifs de captation et de stockage.
Huit scénarios (voir infra) sont évoqués, répartis en deux hypothèses : selon qu’on envisage seulement de respecter la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie, définie par le ministère de la transition énergétique) qui prescrit un plafond de production nucléaire limité à 50% de notre consommation, ou selon qu’on s’affranchisse totalement du nucléaire.
Si chacune de ces hypothèses conduit à augmenter considérablement la part de production par les EnR variables (énergies renouvelables dont la production est interruptible, comme le photovoltaïque la nuit et les éoliennes en l’absence de vent), la seconde, fondée sur la perspective d’atteindre un mix « 100 % EnR », présente de nombreux enjeux, voire des risques, quant à sa faisabilité technique. L’étude de RTE et de l’AIE conclut qu’il serait techniquement possible d’insérer une forte proportion d’EnR dans la production nationale avec une sécurité d’approvisionnement assurée, mais uniquement si quatre ensembles de conditions strictes et cumulatives étaient remplis en même temps (pages 1 et suivantes de la synthèse) :
1. D’abord, il faut pouvoir gérer la variabilité (l’intermittence) de la production éolienne et photovoltaïque. C’est, selon le document, « le principal défi » : « La sécurité d’alimentation en électricité (…) peut être garantie si les sources de flexibilité sont développées de manière importante, notamment le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, l’interconnexion transfrontalière » (page 2). Le pilotage et le stockage massif sont deux enjeux qui ne sont pas du tout maîtrisés aujourd’hui. Mais en plus, il faut « s’intéresser à la maturité de ces solutions et vérifier qu’elles ont le potentiel d’être déployées à grande échelle dans les délais escomptés », comme on le lit dans le texte, évoquant la nécessité « d’un environnement industriel » (page 13).
2. La seconde condition porte sur la stabilité de la fréquence du courant transporté. Il faut savoir que la régulation du réseau et les échanges avec d’autres pays dépendent d’une fréquence de courant (alternatif) fixe, soit 50 Hz. C’est un enjeu technique non trivial. Des solutions existent, appliquées au Danemark ou en Australie, mais leur « déploiement généralisé reste à évaluer ».
3. En troisième lieu, le gestionnaire du réseau électrique devra disposer de réserves opérationnelles suffisantes pour pouvoir équilibrer le réseau en toute situation, en fonction notamment des pics de consommation et de l’évolution du marché international qui conditionne les importations et les exportations. Cela demandera d’améliorer l’observabilité en temps réel de la production, notamment photovoltaïque.
4. Enfin, des efforts substantiels devront être consacrés au développement des réseaux d’électricité à compter de 2030, tant au niveau du transport que de la distribution, qui devra gagner en intelligence pour faire face à des configurations et des situations de plus en plus complexes.
Pour chacune de ces conditions, la question de la disponibilité de solutions techniques pouvant être déployées à grande échelle reste entière. « Pour le moment, il s’agit d’une faisabilité théorique », a insisté Thomas Veyrenc, directeur stratégie et prospective chez RTE, intervenant lors de la conférence de presse. « Les technologies envisagées ont atteint différents stades de maturation, il faut encore les tester à grande échelle », a-t-il poursuivi.
M. Alexis Quentin, ingénieur EDF, nous propose son analyse qui éclaire la complexité des enjeux.
La publication de cette étude marque une étape importante, qui s’insère dans un programme de travail plus vaste visant à élaborer et à comparer des scénarios de transformation à long terme de nos infrastructures électriques, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Dans ce contexte, la RTE a ouvert du 27 janvier au 5 mars 2021 une consultation auprès des professionnels du secteur récapitulant le cadrage et les hypothèses de ces futurs scénarios :
- La consultation est organisée autour de huit scénarios d’études (voir infra), distingués selon deux familles (avec ou sans nouveau programme électronucléaire), et qui conduisent à une part des énergies renouvelables comprise entre 50 et 100% en 2050.
- Des approfondissements spécifiques sont proposés sur la production d’hydrogène, les perspectives de réindustrialisation et le rôle de la sobriété énergétique.
- Les scénarios sont étudiés selon une même grille d’analyse : la faisabilité technique, le coût économique, l’empreinte environnementale, et l’impact sur les modes de vie.
Les contributions peuvent être envoyées à : rte-concerte-bp@rte-france.com.
Un nouveau rapport sera présenté à l’automne 2021 qui tiendra compte de cette consultation ainsi que des études qui continuent sur les coûts de différents ordres.
Les huit scénarios
Ces huit scénarios (voir page 7 et suivantes du rapport) sont répartis en deux familles de quatre scénarios, qui se distinguent par le choix de relancer ou non un programme de nouveaux réacteurs nucléaires. Nous les reprenons ici.
Scénarios 1 à 4
Quatre scénarios sans nouveau nucléaire, aussi appelés « 100% EnR » (scénarios M0, M1, M2 et M3). En l’absence de relance d’un programme nucléaire et du fait de l’objectif de décarbonation totale du mix électrique à terme, ces scénarios tendent tous vers un mix reposant à 100% sur des énergies renouvelables, qui est atteint soit en 2050 (scénario M0) soit en 2060 (scénarios M1, M2 et M3). Ils se distinguent essentiellement par la part des différentes filières renouvelables, ainsi que par les inducteurs du développement des énergies renouvelables (recherche du moindre coût, développement de solutions locales…) qui ont eux-mêmes un impact sur le type et la taille des installations qui se développent :
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le scénario M1 décrit un mix de production électrique réparti de manière diffuse au maximum sur le territoire, ménageant une part majoritaire à l’énergie solaire ;
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le scénario M2 vise à identifier le mix de production renouvelable le plus économe pour la collectivité : il passe en particulier par un développement important de l’éolien terrestre en exploitant les meilleurs gisements, le développement de grands parcs photovoltaïques au sol et le développement de parcs d’éolien en mer dans les zones les plus favorables ;
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le scénario M3 prévoit un développement des énergies marines poussé à ses limites, dans le souci de limiter l’emprise des installations renouvelables à terre ;
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le scénario M0 reprend les principes du scénario M2 tout en prévoyant une sortie du nucléaire dès 2050 : les rythmes d’installation nécessaires des EnR en sont accélérés.
Scénarios 5 à 8
Quatre scénarios avec nouveau nucléaire, aussi appelés « EnR + nucléaire » (scénarios N0, N1, N2 et N3). Ces scénarios comprennent tous des mises en service de nouveaux réacteurs nucléaires (EPR2) à partir de l’horizon 2035 au plus tard et se distinguent essentiellement par le rythme de développement des nouveaux réacteurs.
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le scénario N1 prévoit la mise en service d’environ une paire tous les cinq ans à partir de 2035, il conduit à une part du nucléaire de l’ordre de 20-25% en 2050, contre 75-80% pour les renouvelables ;
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le scénario N2 prévoit une accélération du programme et nécessite la mise en service d’environ une paire tous les deux ans en moyenne sur la période 2035-2060 : il conduit le nucléaire à représenter de l’ordre du tiers de la production d’électricité française en 2050, contre deux tiers pour les renouvelables ;
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le scénario N3 est fondé sur le maintien d’une cible de 50% de nucléaire dans le mix électrique au-delà de 2035 : la trajectoire d’installation des réacteurs de troisième génération est très rapide à compter de 2035 et doit faire plus que compenser les fermetures des réacteurs construits dans les années 1980 et 1990 ;
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le scénario N0 atteint la même part du nucléaire en 2050, mais prévoit un remplacement plus progressif des réacteurs de seconde génération par des réacteurs de troisième génération de type EPR 2.
Dans le cadre de cette consultation publique, les acteurs sont invités à s’exprimer sur le cadrage des différents scénarios proposés et à confirmer l’intérêt de les intégrer à l’étude, notamment pour les deux scénarios (M0 et N0) ajoutés au cours de la concertation.
Deux remarques:
1) La faisabilité socio-économique et surtout son acceptabilité sociale devraient être au cœur de toute réflexion sur notre avenir énergétique. Leur exclusion invalide très largement cette étude. C’est pour tous les français qu’on fabrique de l’énergie. Les technocrates ne peuvent pas décider seuls.
2) Cette étude ne fait aucune mention l’énergie de fusion (Iter) qui devrait être généralisée avant la fin du siècle et qui sera la solution définitive à cet épisode de réchauffement climatique. Ne serait-il pas plus raisonnable d’attendre quelques années, plutôt que d’industrialiser massivement avec des éoliennes et du solaire nos espaces sauvages, derniers refuge de la biodiversité?
J’approuve pleinement ce commentaire, nous sommes, nous les consommateurs, de plus en plus exclus de toute concertation ou avis. Les technocrates ont oublié que nous étions nés avec un cerveau et un peu d’intelligence (peut-être trop pour eux !)
J’ose espérer que le TAKOMAK (ITER) fonctionnera, mais que de retards… Certains parlent de 2060 pour la première production d’électricité, mais en quelle année la tranche de 1000 MW capable de remplacer le nucléaire d’aujourd’hui ?
Le 100% renouvelable est un doux rêve. Il y a très peu de monde prêt à accepter un sol jonché d’éoliennes, j’espère que la réglementation concernant la proximité des maisons ou bâtiments historiques ne sera jamais levée !
Et puis il y a le problème des infra-sons, nuisance pour l’être humain et les animaux domestiques, sans parler des animaux sauvages.
De plus, en bon contribuable, nous n’avons pas encore trouvé un moyen de production plus couteux que ces moulins à vent ; peut-être avec le TOKAMAK, mais ce dernier devrait donner un rendement voisin de celui du nucléaire, contre 25% pour l’éolien !
Le solaire est beaucoup plus raisonnable à condition de ne pas déboiser, car rien n’est plus stupide que d’enlever les mangeurs de CO² sous prétexte de faire de l’énergie décarbonnée !
De surcroit, la nuit ou les jours de mauvaise météo, ça ne produit pas ou peu !
Ensuite, il n’existe pas à ce jour un moyen de stockage de grande capacité, il y a de bonnes pistes avec l’hydrogène ou de futures batteries (sodium-ion, et autres…)
N’oublions pas que les réserves en platines ne sont pas inépuisables pour fabriquer de gigantesques piles à combustibles, à moins que les bactéries ne remplacent le platine, mais nous n’y sommes pas encore…
Concernant les déchets nucléaires, les solutions actuelles sont satisfaisantes, et je suis persuadé que nos enfants ou nos petits enfants sauront les exploiter, ce que nous n’avons pas réussi avec Superphénix, à une époque ou notre technologie n’était pas assez avancée.
Certains diront qu’il suffit de chercher pour trouver, dites cela aux ingénieurs qui cherchent, ils vont rigoler ou pleurer. On ne trouve pas avec des décrets !
D’autres plus complotistes diront que le lobby des pétroliers empêche de découvrir, je pense que si quelqu’un trouve quelque chose d’intéressant, les pétroliers se jetteront dessus pour le vendre, que ce soit du pétrole ou autre chose, le principal est de faire du fric !
Gardons du nucléaire, et renouvelons le, car ses qualités compensent largement les défauts et continuons à chercher, afin de ne pas terminer à la bougie (pas sûr qu’on puisse en fabriquer assez…).
Surtout ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué !!!
Quid de la SOBRIETE énergétique ?
L’augmentation exponentielle de la demande est-elle inéluctable ? Je ne le crois pas ! Tant de nouveaux besoins pas indispensables du tout sont suggérés chaque jour aux consommateurs !
Les exigences d’un marché libéralisé de l’électricité sont-elles compatibles avec la sobriété ? Je ne le crois pas non plus.
Cet aspect du problème n’est que très peu pris en compte, pourtant chacun sait qu’il n’y aura pas de miracle technologique dans notre monde fini.
les scénarios avec capacité nucléaire posent 2 questions majeures:
– comment résout on les problèmes de déchets nucléaires
– comment gere t’on nos sources d’approvisionnement en combustible nucléaire
n’existe t’il pas un 3eme scénario potentiel avec mise en route d’un schéma de production délocalisée au niveau individuel, à savoir:
– équiper tous les foyers français de panneaux solaires pour production d’eau chaude
– équiper tous les parkings de toits photovoltaïques, tous les toits collectifs de panneaux solaires eau chaude ou photovoltaïques, toutes les entreprises et grands commerces d’une éolienne, etc…
(–> pour ce faire, faire sauter entre autres la contrainte “rayon de 500m ou 1km autour d’un bâtiment historique”)
– estimer à combien se situe le complément d’énergie nécessaire une fois l’étape précédente atteinte et gérer ce complément, soit en renouvelable hydroéolien, solaire ou hydraulique, soit si cela ne suffit pas avec quelques tranches nucléaires.
– quid du grand projet de centrale à fusion, développé au niveau faisabilité à Cadarache, et qui devrait permettre une 1ere centrale productive vers 2060? Ne devrait on pas mettre les bouchées doubles ou triples en termes de budget et de délai sur ce sujet?
cordialement