Photo : Première centrale construite aux Omergues, à panneaux orientables. Cette construction sur terre agricole, en plus de n’avoir laissé place à aucune repousse, n’a laissé aucune trace administrative.
Depuis l’apparition du terme « agrivoltaïsme » dans les textes des politiques énergétique et agricole française, Amilure scrute toutes les évolutions de cette pratique avec énormément de vigilance, y voyant les prémisses de menaces lourdes à la fois pour l’environnement et la filière agricole. Nous avions d’ailleurs accueilli des acteurs de tous bords sur le sujet, lors de notre Assemblée générale de 2023, dont le constat partagé allait de l’extrême prudence au refus catégorique.
Nous faisons le point ici sur les vertus supposées de ce mode de production électrique et sur les commentaires qu’il suscite par différentes instances.
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Le raisonnement du « sauvetage » de l’agriculture par le photovoltaïsme est entièrement monté à l’envers.
Faites vendre du coca par les vignerons, vous ne sauverez pas la viticulture française.
Certes, les revenus dus à l’agrivoltaïsme enrichissent un peu (ou dé-paupérisent) les loueurs de terres mais ils mettent à mal l’agriculture d’aujourd’hui et plus encore celle de demain.
Pourtant, l’article 54 de la loi APER semble protéger l’activité agricole, en assurant « l’absence d’effet négatif sur le foncier » ainsi qu’une appréciation des projets photovoltaïques notamment basée sur « la politique de renouvellement des générations » (Art. L. 314-36.-I). Elle mentionne même la possibilité d’un démantèlement « lorsqu’il est constaté que les conditions de compatibilité avec l’activité agricole, pastorale ou forestière ne sont plus réunies » Art. L. 111-32.
Dans ce cas, pourquoi dans une tribune 400 collectifs et associations, dont Amilure, affirment que photovoltaïque sur terre agricole (ou agrivoltaïsme) sont «la même pratique marketing permettant aux industriels de s’accaparer du foncier » ?
Voyons d’abord les soi-disant bienfaits, les dégâts et les risques de cette mésalliance.
En bref : aucun avantage
Le photovoltaïsme n’apporte rien à l’agriculture. Le terme de synergie est à récuser.
Oui, le pâturage ovin et caprin limite le risque incendie. Oui, le processus d’installation et de construction sur les parcelles agricoles est simplifié. Non, les panneaux solaires ne permettent pas l’augmentation du cheptel ni le maintien de l’activité ni la diversification des productions. Non, ils ne créent pas d’emplois agricoles, ils n’améliorent pas les sols, ils ne règlent pas les problèmes de canicules, de sécheresse ni d’inondation. Il ne s’agit pas de synergie mais d’utilisation, de spoliation. On lira pour plus de précisions le Vrai/Faux de la Confédération Paysanne et les inquiétudes du directeur scientifique de l’INRAE, mais voici déjà quelques réponses contre les aberrations les plus couramment entendues :
- Les « mauvaises terres », comme les mauvaises forêts, ne seront pas sauvées par des constructions de verre et de métal mais par une gestion intelligente, respectueuse de la nature du sol et consciente du climat changeant. Le pâturage est d’ailleurs très souvent pratiqué sur ces terres, qui n’ont rien de mauvais. Et même s’il est fait mention de prairie semée sous les panneaux, après avoir tassé les cailloux par le roulage et l’installation des structures, les retours d’expériences dénoncent plutôt une production de faible qualité et une perte de rendement (op.cit. INRAE). Concernant les vergers, Sunagri, constructeur de panneaux, a fait le travail pour démontrer la nocivité des panneaux sur la qualité de la production (op. cit. Confédération Paysanne).
- Le travail du berger et de ses chiens inclut mais ne se limite pas à la protection contre le loup. D’ailleurs, une fois rentré dans le parc, le loup n’aura qu’à se servir. Il lui suffit de creuser sous le grillage, chose facile. Il n’existe aucun moyen matériel qui soit fiable contre le prédateur. Par contre, ce type de protection, par parcage du cheptel, permet de diminuer la présence humaine, ce qui diminue à la fois la qualité de la relation à l’animal domestique (et donc du soin) et le besoin de main-d’œuvre. A grande échelle, les parcs pourraient supprimer des emplois de bergers et réduire le recours à ce savoir-faire traditionnel et, de fait, au bien-être des animaux ainsi parqués.
- Pour les questions de bien-être animal, le mieux est de se faire une image : les animaux sont-ils mieux parqués pour engraissement sous des structures métalliques ou en liberté surveillée dans des prairies naturelles ? Vaut-il mieux l’ombre d’un arbre ou d’une unité photovoltaïque ?

Pas de reprise des exploitations
La meilleure solution pour garder de l’agriculture, c’est de rendre le foncier accessible.
– Député Peio Dufau dans Libération.
Et l’article de préciser :
Au total, entre 20 000 et 25 000 hectares de terres agricoles s’évanouissent ainsi chaque année. L’équivalent en surface d’un peu plus de 360 exploitations.
Pourquoi cette hémorragie des terres agricoles ? Ce n’est pas vraiment faute de repreneurs. Mais de plus en plus de retraités de l’agriculture repoussent la vente, ou proposent des prix complètement déraisonnables. Les propriétaires n’ont aucun intérêt à revendre.
Pourquoi ?
- Parce que les retraites sont très faibles mais peuvent être compensées par les revenus liés aux terres (location, rente, subventions) si elles sont conservées plutôt que transmises (op. cit. Confédération Paysanne).
- Parce que le prix du foncier agricole était déjà le résultat du cours des subventions et non pas celui de la réalité de la production. Et qu’il suivra bientôt le cours de la location photovoltaïque et donc encore moins la réalité de la production agricole.
- Parce que revendre une terre qui rapporte une rente annuelle de l’ordre de grandeur son prix d’achat, ça serait dommage…
La Confédération publie ces chiffres : « Les loyers offerts aux propriétaires déstabilisent complètement le marché foncier, avec des montants 10 à 30 fois supérieurs à un fermage (ex : 150 €/ha, contre jusqu’à 4 000 € pour du photovoltaïque). » Dans notre région, il faut plutôt compter 40 € pour le fermage contre 6 000 € pour la rente énergétique. Inéluctablement, les prix du foncier montent. Autour de la montagne de Lure, sur une même commune, on trouvait il y a une quinzaine d’années une exploitation de 200 hectares pour 800 000 € (pâturages avec bâti à rénover). Aujourd’hui, à qualité des terres et bâtis à peu près équivalents, une exploitation de 60 hectares est mise en vente pour 600 000 €. Dans ces exemples, la présence d’une habitation à retaper empêche un calcul du prix à l’hectare mais renvoie à la question du logement des agriculteurs : en effet, si les constructions de centrales solaires sont encouragées par tous les moyens, impossible par contre d’aménager un logement sur l’exploitation. On trouve dans la région de nombreux exploitants vivant encore dans une caravane dix, quinze ou vingt-cinq ans après leur installation. Vers Apt ou L’Isle-sur-la-Sorgues, il n’est pas rare de voir un hectare mis en vente à plusieurs centaines de milliers d’euros par des agents immobiliers peu enclins à expliquer la définition de « terre agricole ».
La réalité n’est pas que personne ne veut reprendre les exploitations – tous les aspirants n’ont pas encore baissé les bras – mais que personne n’a les moyens de se payer une exploitation à moins d’être déjà grand propriétaire ou gros exploitant.
Pourquoi ?
- Parce que seules les subventions de la PAC, calculées au nombre d’hectares, permettent une trésorerie conséquente. Seuls les gérants de grande exploitation peuvent agrandir leurs domaines. Et y planter des panneaux solaires.
D’ailleurs, la Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA) demandait à ce que la loi limite les projets agrivoltaïques non pas à une production maximale de 5 MWc, dépassée par la plupart des projets en cours d’instruction, mais à un pourcentage de la surface utile agricole de l’exploitation, selon France Agricole. L’option choisie dans le dernier amendement a été d’accumuler les facteurs d’inégalité : non seulement la barre est montée à 10 MWc mais aussi à 30% de la surface utile de l’exploitation. La tendance à l’annexion de terres supplémentaires de la part des plus grands exploitants, retirant ainsi du marché les petites exploitations qui auraient permis à des nouveaux agriculteurs de s’installer, était déjà critiquée pour ses effets délétères.
Les jeunes souhaitant s’installer se voient de plus en plus proposer de simples conventions de pâturage, sans transmission réelle – conventions qui dans le cas des centrales solaires viennent même remplacer le bail agricole, plus stable, plus protecteur et garantissant plus de libertés à l’exploitant (op. cit. Confédération Paysanne), ce que même France Agrivoltaïsme dénonce (op.cit. France Agricole). Mais cela peut encore empirer.
Vers la fin de l’agriculture ?
La loi APER (op.cit.) prévoit déjà la possibilité de rentes supérieures au revenu agricole puisque la notion d’activité principale peut s’apprécier selon le revenu, mais aussi l’emprise au sol ou le volume de production. Pratique. Et peut-on reprocher aux exploitants agricoles de vouloir se défaire d’une charge de travail excessive, souvent portée depuis plusieurs générations ?
Certes, si l’on souhaite optimiser le gain, pour continuer d’être éligible à la PAC, les terres doivent être exploitées. D’où le recours à de jeunes agriculteurs sans terre qui vont faire pâturer les parcelles pour que les subventions continuent de tomber. La compatibilité rente-subvention est d’ailleurs également prévue par la loi (Art. L. 314-38).
Mais avec les revenus des centrales solaires, sera-t-il nécessaire de s’encombrer encore de conventions, de jeunes et de bêtes ? N’est-ce pas finalement moins éprouvant de se contenter de percevoir les rentes versées par les énergéticiens ? FFPA demande d’ailleurs une hausse considérable, 50%, de la part de valeur reversée par les énergéticiens (op.cit. France Agricole).
Christian Huyghe, directeur scientifique de l’INRAE l’affirme : « Le risque est d’avoir un système agrivoltaïque qui n’en a que le nom, et où la production agricole va rapidement disparaître par manque de rentabilité. (…) Dans la réalité, une fois que les panneaux seront installés et que vous aurez enregistré que les pertes sont supérieures à 10 %, que faire ? Démonter les panneaux ? Je suis sceptique vu le niveau d’investissement que cela représente. » (op.cit. INRAE)
Effectivement, si l’ONF peut raser ses forêts pour construire des centrales, garder sous sa coupe les parcelles ainsi dénaturées et devenir gérant de parcs solaires, pourquoi un agriculteur, après avoir fait sa transition en loueur de panneaux, serait-il inquiété au moment de prendre sa retraite ? Rien ne l’empêche de continuer à percevoir sa rente.
Au-delà des risques que les agriculteurs eux-mêmes, démarchés à outrance, font courir à leur profession, il faut considérer l’action des sociétés foncières dont les exemples commencent à se faire connaitre. France Inter relatait récemment le choix de la SAFER (organisme censé arbitrer l’acquisition des terres agricoles) d’accorder l’achat d’une exploitation non pas à la jeune agricultrice locale mais à une société porteuse d’un projet photovoltaïque. Alors que les exemples de ce type se multiplient, la loi continue d’avancer dans le mauvais sens comme le décrit l’avocat et professeur Arnaud Gossement, dans son analyse de la proposition de loi.
C’est pourquoi la tribune (signée notamment par Amilure) alerte : « en mettant notre outil de production à disposition de ces sociétés, nous les enrichissons et détournons la vocation nourricière de la terre agricole ».
Exploitant agricole… l’appellation n’est pas neutre, ne s’agirait-il pas d’exploiter l’agricole plutôt que de produire de la nourriture ? Fut un temps où le terme exploiter était péjoratif.
Et pendant ce temps, les paysans, ceux qui façonnent le pays et le nourrissent, souffrent d’un travail sans fin et, faut-il croire, sans valeur ?
Je ne sais pas si la métaphore est délibérée mais l’image de couverture connote parfaitement le cimetière entrevu dans l’article. Une épitaphe pour l’agriculture ?