Cet article s’inscrit dans notre analyse du contexte économique des EnR (énergies renouvelables) en France, dont on fait la synthèse par ailleurs. Cette synthèse peut être considérée comme un préalable à l’article qui suit dans la mesure où elle définit le cadre de notre analyse : la perspective dans laquelle s’inscrivent les assauts du foncier agricole par les chevaliers de l’industrie du renouvelable.
L’agrivoltaïsme répond-il à un intérêt public majeur ?
L’agrivoltaïsme est une pratique en développement qui consiste à couvrir certaines productions agricoles par des panneaux photovoltaïques, lesquels protègent les cultures contre les intempéries ou une exposition trop intense au soleil. Cette combinaison entre production d’énergie renouvelable et agriculture offre notamment l’immense avantage de ne plus sacrifier des hectares de bonnes terres pour installer uniquement des panneaux solaires.
Mais cette présentation vertueuse n’est qu’un leurre, car l’aménagement d’une terre agricole par une ombrière impose à l’agriculteur un type de culture et un mode d’exploitation spécifiques. La liberté d’utiliser cette surface pour des cultures diversifiées disparaît. L’aménagement technologique du sol s’apparente à une artificialisation. On a des exemples édifiants en Espagne ou en France, de serres photovoltaïques où la production d’énergie devenue plus rentable que la culture sous abri a conduit à l’abandon de toute production agricole. D’après une enquête de la préfecture des Pyrénées-Orientales, deux tiers des serres solaires du département sont vides.
Il semblerait que, à quelques exceptions près, la production agricole soit incompatible avec ces conditions de lumière, qui empêchent une photosynthèse adéquate par les plantes.
La rentabilité d’un projet est une notion à nuancer. L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), dans un rapport de 2018, insiste sur ce point (voir p. 49) car elle « …ne permet pas d’apprécier sa pertinence pour le territoire. Ce n’est pas parce qu’un projet est déficitaire qu’il doit être aidé : c’est d’abord parce que le projet est utile (et que la dépollution est exemplaire) qu’il peut bénéficier d’un soutien. L’objectif premier de l’ADEME étant de favoriser l’accélération de la reconversion de friches, l’analyse de la rentabilité des opérations est bien sûr considérée mais constitue un critère parmi les autres critères plus techniques. »
Mais, pour les gouvernements, notamment du fait des lobbys qui alimentent leur réflexion, l’agrivoltaïsme est apparu comme une opportunité de marier les enjeux énergétiques et agricoles, pour le bonheur des industriels (clients des lobbyistes). Cette stratégie apparaît aujourd’hui comme une fausse bonne idée typique – et catastrophique.
En prenant appui sur les difficultés du monde agricole (endettement, marchés peu rémunérateurs…), sur l’argumentaire écologique, et sur l’aide agronomique (la supposée aide au changement climatique, l’ombre protectrice des panneaux, le bien-être animal, etc. alors que l’agroforesterie remplit très bien ces fonctions) on défend une stratégie énergétique non réfléchie qui compromet la première fonction des territoires : l’agriculture. On voudrait défendre l’agriculture en défendant les agriculteurs, mais l’agriculteur qui vit du photovoltaïque n’en est plus un.
C’est ainsi que l’ADEME va devoir retourner sa veste. Selon un article du journal Les Echos, elle écrivait en 2019 que « Les modèles en toiture doivent être privilégiés, pour éviter d’occuper des sols agricoles et de nuire à l’image de cette EnR […] [On] a identifié près de 18 000 sites “propices à l’installation d’une centrale photovoltaïque” qui pourraient générer plus de 50 gigawatts, soit bien plus que l’objectif fixé par l’État ».
Mais dans son rapport de 2022, elle légitime presque tous les projets sur des terres agricoles et naturelles. Ce changement lui fait écrire en conclusion que « les systèmes photovoltaïques sur des terres agricoles sont une solution potentielle pour concilier les enjeux associés aux filières photovoltaïque et agricole ». (p. 24)
Est-ce si sûr ? Tous les agriculteurs ne semblent pas en être convaincus, témoin la confédération paysanne sur l’impulsion de sa section de l’Aveyron repris par le bulletin national mensuel.
Ces projets « agrivoltaïques » s’opposent à « l’Agriculture Paysanne (qui) doit permettre à un maximum de paysans répartis sur tout le territoire de vivre décemment de leur métier en produisant sur des exploitations à taille humaine une alimentation saine et de qualité, sans remettre en cause les ressources naturelles de demain. (…) Travailler sous des panneaux c’est dégrader notre qualité de vie au travail, c’est aussi dégrader l’environnement et les paysages de tous pour le bénéfice de quelques-uns (quelques propriétaires et promoteurs) »
Un point de vue qui n’est pas partagé par le syndicat majoritaire chez les agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ayant annoncé la signature d’un nouvel accord, vendredi 4 mars 2022, à l’occasion du Salon international de l’agriculture à Paris, pour un « partenariat novateur ». Après avoir conclu une alliance internationale avec Veolia concernant la production de biométhane, la FNSEA s’engage avec l’énergéticien français Total énergie dans le but de « favoriser l’émergence de réseaux économiques circulaires » et de « garantir l’acceptabilité des projets [agrivoltaïques] et le partage de la valeur avec les agriculteurs ». Les termes de l’accord prévoient de faciliter le développement de trois types de projets : la mise en service d’installations agrivoltaïques, la valorisation de déchets organiques agricoles dans la production de biométhane, et les résidus de culture dans la production de biocarburants.
En synthèse
Amilure n’est certes pas spécialiste de l’agriculture et de ses enjeux économiques et pratiques, toutefois comme tout citoyen, nous nous préoccupons des choix qui concernent la production de notre alimentation, et il semble qu’à l’instar du mariage de la carpe et du lapin, celui de l’agriculture et de l’industrie énergétique soit contradictoire.
Construire une alliance pour faciliter l’acceptation de projets industriels qui conduisent à la perte de surfaces agricoles et à l’artificialisation des sols productifs pour l’alimentation humaine et animale semble une hérésie, au moment même où une large partie de la population s’ouvre à la consommation des produits issus de l’agriculture biologique et où de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers les pratiques de l’agroécologie, transformant leur ferme pour produire mieux et sain, en circuit court, et en adoptant une agriculture plus extensive qu’intensive.
Nous considérons toutefois que, dans certaines conditions, des cultures pérennes (vignes, vergers…) puissent bénéficier de l’installation d’ombrières, et qu’il est judicieux dans ce cas de coupler cette protection avec la production d’électricité photovoltaïque. Cependant, il nous paraît dangereux d’inverser la démarche et de privilégier la production électrique en la justifiant par la protection qu’elle pourrait offrir à des cultures. Nous avons cité plus haut les exemples désastreux de ce type de serres et la perte irréversible de surfaces agricoles utiles (SAU) que ces choix entraînent.
Comme pour la destruction de zones forestières et naturelles par l’installation de centrales photovoltaïques au sol, nous sommes convaincus qu’il faut préserver les sols et les zones rurales et agricoles des effets délétères de leur occupation par les installations de production d’énergie électrique supposée verte, au détriment des paysages, de la séquestration du carbone, des services écosystémiques rendus par les forêts et les sols vivants, de la protection contre l’érosion, le ruissellement, la sécheresse, etc.
S’il faut développer le solaire, que ce soit sur les sites déjà artificialisés, comme Amilure le soutient ainsi que plus de 3 000 signataires de sa pétition, dans un cadre citoyen, avec des retombées économiques locales.
Pour nous l’intérêt majeur public de l’agrivoltaïsme n’est pas démontré, et nous craignons que, dans une course irraisonnée au foncier, des mesures facilitant la colonisation industrielle des territoires soient inscrites dans la loi. Au prétexte de développer une électricité décarbonée (dont on impose une consommation accrue sans en évaluer les effets sur les ressources de la planète) les gouvernements cèdent au dogme économique d’une croissance illimitée dans un monde fini.
L’ignorance et l’interêt financier conduit le monde …encore! …pour plus très longtemps!
gardons l’espoir du réveil de la conscience de plus en plus d’humains.sur cette terre.