Amilure

Les amis de la montagne de Lure

Nous avons évoqué récemment les écarts d’un commissaire enquêteur persuadé d’être porteur de la vérité, prophète autoproclamé, pourfendeur des écolos irresponsables, ignorants et fabulateurs par définition – en totale contradiction avec les engagements d’impartialité de sa corporation.

Malgré tout notre respect pour l’institution des commissaires enquêteurs, il nous faut maintenant revenir à la charge pour exposer les délires d’un autre CE farouchement investi contre les valeurs écologiques, au point de marteler des affirmations aussi gratuites qu’infondées, frôlant le négationnisme et produisant une vocifération réactionnaire en manque de persécution et de bûchers.

Rappel : une enquête publique a eu lieu en septembre 2021 portant sur les permis de défrichement et de construction d’un projet de centrale photovoltaïque à Montfort, à l’extrémité est de la montagne de Lure. Nous avons contribué à cette enquête par un commentaire publié dans nos pages projets, et nous n’avons que récemment pris connaissance des conclusions : rapport du commissaire, avis pour le permis de défrichement et avis pour le permis de construire – ces deux derniers documents sont cependant à très peu de chose près identiques car, écrit le CE, « il m’a paru difficile voire impossible de séparer les observations faites par le public, mais aussi mes conclusions et avis entre ces deux aspects, juridiquement séparés mais objectivement intimement liés ». Les deux enjeux, bien qu’interdépendants, soulèvent cependant des problèmes distincts – passons.

Malgré les réserves d’Amilure et celles de la grande majorité des contributeurs (la moitié des contributions favorables émanent du conseil municipal), le commissaire a donné un avis favorable. En soi, au vu des enquêtes publiques en général, même si cet état de fait reste consternant cela n’est pas très étonnant. Cependant, les erreurs factuelles et la virulence avec laquelle cet enquêteur supposé impartial assène ses positions personnelles, sectaires et obtuses de surcroît, choquent. Une fois revenu de l’étonnement, le sentiment qui domine en est un de déni – de démocratie autant que de raison.

L’analyse de texte de l’ensemble serait trop laborieuse – à produire mais aussi à lire. Retenons seulement quelques perles pour illustrer la créativité de l’auteur.

Rapport du commissaire
  • page 7 :

-Production annuelle attendue : 13900 MWh
-Equivalent consommation Foyer/logement : 2950 soit 7720 habitants

La notion de foyer reste statistiquement floue mais ce site de l’état donne pour consommation moyenne en France 2 223 kWh/an par habitant. A cette aune, les 13 900 MWh  qu’ambitionne de produire Engie Green (en année 1, et de moins en moins dans les années suivantes) alimenteront 6 253 habitants, et non 7 720. Le chiffre donné par l’opérateur est enflé de 23%, sans que le CE ne songe à le vérifier.

  • pages 23 et 24 :

Au regard du mix énergétique européen, le projet de parc solaire aura remboursé sa dette carbone en 2,5 ans, ce qui signifie qu’en deux ans et demi, il aura fait économiser plus s’émissions de CO2 de par sa production d’électricité sans rejets, qu’il n’en aura consommée pour sa construction, son exploitation et son démantèlement, ainsi que par la perte de fonction puits de carbone des boisements utilisés.

Ces 2,5 ans sont à mettre en perspective avec la durée de production du parc de 40 ans.

D’une part, même EDF considère qu’il faut au minimum 3 ans pour amortir l’empreinte carbone de la fabrication des panneaux. Mais pour des panneaux d’origine chinoise (comme tous ceux qu’utilisent les opérateurs français) la dette énergétique est supérieure de 75% (ibid.) – on est donc plus proche d’un amortissement sur 6 ans, ce qui devrait être encore augmenté du facteur de productivité dégressive, et du coût carbone des infrastructures (tranchées, lignes moyenne tension…).

D’autre part, les panneaux photovoltaïques sont garantis 20 ans. Au-delà, ils peuvent garder une productivité raisonnable jusqu’à environ 25 ans. Pour une exploitation de 40 ans, il faudra tout renouveler, et donc doubler la dette carbone.

Le commissaire enquêteur est probablement de bonne foi – on en conclura donc que, en reprenant tel quel le discours marketing du messie Engie, il fait preuve de plus d’incompétence que de malveillance.

  • page 24 :

Je tiens cependant à préciser pour ce qui concerne la sauvegarde des forêts, et pour mettre un terme à l’idée reçue et largement et faussement diffusée selon laquelle l’urbanisation, l’industrialisation et l’agriculture rongent inexorablement la forêt française, que cette dernière gagne du terrain depuis deux siècles.

Plusieurs sources confirment l’expansion de la forêt française. Malheureusement, ceux qui nous annoncent ces chiffres comme une nouvelle rassurante ne prennent pas en compte la pression du dérèglement climatique qui, elle, s’est développée dans une beaucoup plus grande proportion. L’idée implicite que la forêt d’il y a deux siècles serait l’étalon auquel on devrait se mesurer est ridicule : il nous faudrait aujourd’hui 3 ou 4 planètes Terre couvertes de forêt pour lutter efficacement contre l’impact négatif des GES (Gaz à effet de serre). Par ailleurs, si on laissait le champ libre à tous les colonisateurs photovoltaïques, c’est bientôt de désertification qu’il faudrait parler. Ce que le commissaire nous dit, ici, c’est que la forêt ne mérite pas qu’on la défende. Sa conclusion sur ce sujet est d’ailleurs tout à fait révélatrice du climatoscepticisme de l’auteur :

Il est temps de retenir ces chiffres parlants, et de cesser de se lamenter sur la disparition programmée de la forêt française, qui n’est pas la forêt amazonienne.

On croit rêver mais (malheureusement) non. Et que dire de cette référence : la forêt amazonienne d’aujourd’hui ou d’il y a 200 ans ? On finit par se poser des questions sur le recrutement de ces agents.

  • page 26 :

On peut aussi s’interroger et philosopher sur la notion et le contenu strict ou élargi de l’Intérêt général, et parier sur l’avenir comme le fait le Président de l’association AMILURE en écrivant ; « Dans 40 ou 60 ans ceux qui auront fait ces choix ne seront plus là pour juger des effets de leurs décisions », à quoi il est facile et aussi démagogique de répondre que : « Dans 40 ou 60 ans ceux qui n‘auront fait aucun choix ne seront plus là pour juger des effets de leur pusillanimité et de leur absence de décisions ».

En gros, notre commissaire (qui n’a pas peur des mots) traite de pusillanime tous les maires qui ne sont pas en train de projeter des centrales photovoltaïques sur leur territoire, considérant par ailleurs que le fait de les refuser ne constituerait pas une décision mais une sorte de lâcheté. On peut se demander à quoi a servi cette enquête puisque l’arbitre en connaissait le résultat à l’avance.

Une fois lancé, il donne enfin l’estocade :

Je rappelle que l’objet de l’enquête publique est de recueillir les avis personnels, les interrogations fondées, et les arguments rationnels pour ou contre le projet objet de l’enquête, et non de lister à la Prévert tout ce qui pourrait contribuer à sacrifier le projet sur l’autel fantasmagorique de la destruction des forêts, de la faune et de la flore, et par extension la survie de l’humanité.

On imagine dans quel état a dû se mettre le rédacteur pour en venir à cette apothéose – une paraphrase s’impose : « Boire ou écrire, il faut choisir ». Mais il s’acharne encore sur la dépouille du discours écologique, dans un final lyrique qui force l’admiration :

La barque de la perversion intellectuelle et de la mauvaise foi est bien chargée, et il est à craindre son prochain naufrage si le minimum de réflexion, de rationalité et d’intelligence ne vient pas mettre un terme à ce déferlement de « y’a-qu’a faut’qu’on. », prônant tout et son contraire, pour ne pas s’engager dans des voies nécessitant ambition des objectifs et courage et pragmatisme dans les décisions.

…assurant au passage, par une autre contre-vérité de son cru qui ressemble à un but contre son camp, que les voitures électriques « sont, selon les dernières études, faut-il le rappeler, sur une durée de vie d’un véhicule, globalement bien plus polluantes qu’un véhicule à moteur thermique. »

  • page 27 :

Comment dans le pays de Descartes qui se targue de rationalité pourrait- on de nos jours :

-Refuser les centrales nucléaires car dangereuses ?
-Refuser les centrales hydro-électriques car dangereuses et enlaidissant nos paysages remarquables ?
-Refuser les éoliennes car nuisant aux paysages et à la faune ?
-et bientôt refuser les centrales photovoltaïques car elles portent atteintes aux paysages, à la faune et la flore, détruisent les forêts et donc vont contribuer à la disparition de l’oxygène sur terre et à terme à la disparition de l’humanité ?

Car si on déroule benoitement les arguments des opposants aux centrales photovoltaïques, comme ceux qui se sont exprimés lors de cette enquête, c’est un futur apocalyptique qui se profile.

Aucune logique, aucun argument, aucune donnée justificative… Que de l’opinion infondée, alors qu’on attendait du discernement.

Je pense qu’en toute chose il faut savoir raison garder, et si on peut comprendre, voir partager des interrogations rationnelles en matière de futur énergétique actuellement incertain, la réponse est à mon sens de ne pas s’opposer systématiquement aux nouvelles énergies dont le pays a besoin, mais de développer ces énergies dans les territoires les plus favorables pour les produire, en prenant toutes les précautions pour éviter des abus toujours possibles, et les erreurs toujours humaines.

Je, je, je… me, me, me… cette enquête publique est une plate-forme, une tribune offerte au commissaire pour nous faire la grâce de partager sa pensée. Le sujet , et l’objet de la conclusion, c’est lui-même. Ce « systématiquement » trahit d’ailleurs la myopie intellectuelle de l’auteur qui n’a pas pris la peine de relever les projets industriels auxquels les « écolos » ne s’opposent pas puisqu’ils s’installent en zones anthropisées, déjà dégradées.

Avis final pour les permis de défrichement et de construction

Ces avis sont globalement des applications des positions développées dans le rapport. Notons tout de même cette affirmation gratuite :

  • page 6 :

Je considère donc que sur ce point le projet participe à la réalisation d’un engagement national mais aussi régional, puisque la Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur ne produit que 10% de sa consommation électrique…

Cette valeur de 10% ne sort de nulle part – elle n’est pas sourcée, et pour cause : elle est fausse. RTE (Réseau de transport d’électricité, filiale d’EDF), qu’on peut difficilement soupçonner de partis pris écologiques, écrit dans son « Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3ENR) », page 40,  qu’en PACA « le taux de couverture moyen de la consommation par la production électrique régionale s’établissait ainsi en moyenne à 48% en 2021 ». Si ce chiffre imaginaire de 10% est cité par le CE, c’est qu’il pèse sur la décision – que devient-elle si on le multiplie par 5 ?

En conclusion…

En conclusion, le métier de commissaire enquêteur en est un comme les autres : on y trouve des compétences inégales, et certaines plus inégales que d’autres. S’il vaut la peine de le noter et de le faire savoir, c’est cependant en toute conscience du faible impact qu’aura cette critique : les enquêtes publiques ne sont malheureusement pas déterminantes, malgré le professionnalisme de bon nombre d’enquêteurs.

Février 2023

Où en sommes-nous aujourd’hui de ce projet ? Ni la commune ni Engie Green ne daignent communiquer publiquement à ce sujet. Mais voici ce qu’un journaliste de Travaux publics et bâtiments du midi nous donne à lire :

La commune, qui travaille sur le projet depuis plus de trois ans, espère que le chantier sera lancé d’ici fin 2023. Elle sait néanmoins que son démarrage est conditionné aux décisions de la commission de régulation de l’énergie mais aussi à la désaturation du poste électrique Enedis de Château-Arnoux, auquel le parc solaire doit se raccorder.

Espérons que riverains et citoyens sont, eux, informés par les parties prenantes avec plus de précisions.

index projet : #montfort-le-grand-bois
Montfort : un autre CE part en vrille

Un commentaire sur « Montfort : un autre CE part en vrille »

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