Amilure

Les amis de la montagne de Lure

Jancovici et le Shift Project : guide de survie pour la ruralité

Ce jeudi 10 novembre, on a pu assister à deux événements émanant du Shift Project (présidé par Jean-Marc Jancovici) concernant l’impact de l’actualité énergétique sur les territoires ruraux.

Dans la matinée, M. Jancovici s’adressa (par visioconférence) à l’Association des maires ruraux de France (AMRF) pour évoquer sa vision à moyen terme des pressions directes et indirectes qu’allaient subir les collectivités rurales, et répondre aux questions des participants (voir synthèse en encart) :

Puis, en fin de journée, l’équipe du Shift Project présenta (par un webinaire en accès libre) ses travaux sur la transformation des territoires, et spécifiquement les campagnes. Un maire de commune rurale, aussi président de son intercommunalité, a contribué son témoignage d’élu dans le cadre des enjeux soulevés (voir synthèse en encart).

Ces deux prises de parole étaient logiquement convergentes, se recoupant notamment sur la description de diverses stratégies complémentaires que les collectivités rurales pouvaient envisager pour faire face aux chamboulements économiques qu’on nous annonce. On peut voir ça comme une approche rationnelle et structurée des démarches de sobriété, dont on parle de plus en plus sans pourtant dissiper le flou qui enveloppe cette notion, plus une tendance qu’une pratique étudiée. Quelques jalons, quelques chiffres et quelques analyses de faisabilité et d’impact sont bienvenus pour éclairer ce sujet dont tout le monde s’empare. Et c’est ainsi que ces travaux sont présentés (voir cette courte vidéo de présentation).

Mais, à la réflexion, on pourrait entendre autre chose. La sobriété, c’est un état qu’on choisit : le buveur qui cesse de boire parce que toutes ses bouteilles sont vides ne fait pas vraiment acte de sobriété – il subit la pénurie. Or, ce qu’on veut nous prédire ici, n’est-ce pas justement la pénurie, la précarité énergétique, l’écroulement économique ? La doctrine du Shift Project (qui lui appartient) est-elle de nous enjoindre à de bonnes pratiques pour conjurer un avenir trop sombre, ou de nous donner des clefs, des recettes de survie qui devraient devenir incontournables pour les jeunes et futures générations ? Une autre façon de dire que ce qui s’amène n’est plus évitable : « tous aux abris, et voici comment les construire ».

Cela fait un moment qu’en prolongeant les axes de réflexion de Jean-Marc Jancovici, on les voit converger vers la prophétie d’un effondrement généralisé : le problème serait systémique et sans échappatoire ; citoyens et politiques sous-estimeraient « le sang et les larmes » que demanderait une réelle inflexion du destin ; « Une augmentation de quelques degrés en un siècle et ce sera la guerre partout » ; « le plus vraisemblable, c’est que dans notre nouveau monde la crise économique sera le quotidien » ; « le climat ne sera plus jamais stable – plus jamais » ; « un enfant qui naît aujourd’hui a le droit d’émettre 1/10 des émissions que ses grands-parents ont émises pendant leur vie… » etc.

To collapse or not to collapse, ce n’est pas à Amilure de trancher. Notre combat est beaucoup plus circonscrit : il consiste à freiner la colonisation industrielle des espaces naturels de notre périmètre. Mais le débat général sur la transition nous aspire forcément aussi, et l’on nous demande souvent : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Même pour les plus optimistes, les dés semblent jetés concernant les prochaines décennies. Si l’on prend ce scénario pour acquis, notre objectif pourrait être de maintenir les agresseurs à distance suffisamment longtemps pour que le séisme de la dégringolade économique les balaie impitoyablement, laissant la nature perdurer à l’abri de leurs assauts. Pour l’instant, cette projection relève de la fiction, mais l’une des constantes de l’époque est justement l’incapacité de la société à saisir la nécessité du changement, puis son inéluctabilité. Cette fiction pourrait bien être plus proche de notre réalité à moyen terme que les images plus modérées, plus rassurantes, dont nous ne pouvons (ou ne voulons) nous départir – le vrai mirage, en fait.

On notera cependant que la rhétorique du Shift fait l’impasse sur la question au centre de nos actions : le sacrifice de notre patrimoine naturel et culturel sur l’autel d’une énergie non critique. Il est peu probable que cette organisation ignore ce qui se joue en ce moment, notamment à l’assemblée nationale, mais on devine ici une volonté implicite de ne pas s’engager sur le terrain politique.

Visioconférence à l’adresse des maires ruraux de France (AMRF)

Voici quelques-uns des points marquants de la présentation et des échanges. Voir la vidéo (plus haut) pour le rendu complet.

  • Le mal est fait. Peu importe ce que nous fassions le changement climatique aura des conséquences profondes. Il n’y a pas de solution et l’adaptation sera pénible.
  • Surtout ne pas se perdre dans le marketing écologique. Cela limite la compréhension des gens quant à la taille du défi.
  • Voir la BD de JMJ : Un monde fini.
  • Les gens auront bientôt moins de temps et moins de moyens : les machines qui aujourd’hui travaillent a notre place dépendent des énergies fossiles. Avec leur disparition, il faudra travailler plus.
  • L’économie des campagnes dépend à tout point de vue des villes : tourisme mais aussi impôts, coût des biens, etc. Prévoir une forte récession.
  • Il n’existe pas de région à énergie positive, dès lors que l’on prend en compte les importations de tout type de consommation.
  • Ce n’est pas les entreprises qui veulent implanter des éoliennes c’est l’Etat. C’est lui qui encourage les éoliennes via la PPE.
  • Si l’on n’adhère pas à la politique d’accélération des EnR, il va falloir se mettre d’accord collectivement sur ce qu’il faut faire : utiliser moins d’électricité ? demander aux Chinois de faire des centrales nucléaires en 5 ans ? Nous n’avons pas une discussion adulte sur ces sujets.
  • Le braconnage de bois à repris. C’est un actif réel qui prendra de la valeur comme la terre agricole.
  • Pas de débat structuré sur ce que l’on veut faire avec le sol : agriculture, matériaux (lin, bois), énergie (biocarburants), infrastructures (services) ou zones dédiées à la biodiversité. Avec 55 millions d’hectares il faudra choisir (mix possible).
  • La terre est une ressource précieuse insuffisamment valorisée.
  • Les maires ruraux veulent participer, mais ne pas être pillés. Faire un livre blanc définissant les engagements et les objectifs de la ruralité dans le cadre de la transition serait une bonne idée. [C’est l’objet du grand atelier des maires ruraux qui se met en place en 2023. (NDLR)]
  • La position réfractaire des maires par rapport au ZAN (zéro artificialisation nette) est due au fait que les dotations rurales soient principalement basées sur la démographie, ce qui les incite à bétonner (logements, services…). Pour que les collectivités rurales participent à cet effort, il faudrait notamment que les surfaces agricoles et forestières dont elles ont la charge soient valorisées, notamment comme base de dotations.
  • Le monde d’aujourd’hui s’est construit sur l’abondance énergétique. Il faut lire l’histoire à l’envers pour comprendre ce qui va maintenant tomber : avant tout les villes et les banlieues immédiates. Ceci impliquera des tensions, des migrations. Ça ne sera pas facile.
  • La suggestion au doigt mouillé de Shift Project est que les collectivités devraient consacrer au moins 1% de leur budget en acquisition de compétences pour mieux faire face au tsunami qui arrive.

Retour vidéo

 

Webinaire sur la transition des territoires : les campagnes

Ici, on réduit l’éclairage catastrophiste pour donner plutôt des pistes de résilience, de résistance, voire de réinvention de notre société, dans le but apparent de minorer l’impact de l’astéroïde climato-énergétique qu’on voit déjà grossir dans le ciel.

Le Shift Project s’est donc attelé à l’analyse systématique des flux physiques qui conditionnent les principales activités humaines, afin de calculer à quelle vitesse maximale on pourrait les décarboner, compte tenu des moyens disponibles et de leurs capacités d’évolution réalistes. Cela confirme qu’optimiser les modes de production ne suffira pas pour atteindre la neutralité carbone avant la fin du siècle, d’où la nécessité de réduire sévèrement la consommation – ce qu’on appelle la sobriété.

Mais tout reste à faire, et la conjugaison de cet impératif avec les intempéries socio-économiques qui se préparent donne peu d’espoir (euphémisme).

Voici les principaux points évoqués.

Enjeux de la mobilité :
  • Augmentation de la réglementation ou raréfaction de la ressource pétrolière
  • 90% des transports habitation/travail
  • Solutions difficiles à mettre en place (transport en commun, vélo)
  • Dépenses plus hautes et âge moyen plus élevé en milieu rural pour les déplacements, risque d’inégalités sociales et d’isolement
  • Donc facteur de vulnérabilité important dans un contexte de raréfaction de la ressource. Enjeu de sécurité aussi. Comment sortir de cette dépendance ?
Eléments de solution : le vélo
  • Réseau sécurisé
  • Cheminements piétons
  • Promotion du vélo dès le plus jeune âge
  • Développement d’infrastructures d’autant que le vélo électrique augmente les périmètres d’applicabilité
Eléments de solution : favoriser les voitures électriques et les microvoitures
  • Promotion des véhicules électriques
  • Développement des infrastructures de recharges
  • Développement de l’offre
  • Partage de véhicules
Eléments de solution : promouvoir les trajets bas carbone vers les centres-villes
  • Soutenir les haltes ferroviaires
  • Réhabiliter quartiers de gare
  • Développer co-voiturage à la demande
  • Réseau de voies cyclables vers les grandes villes.
Enjeu de l’évolution des politiques
  • Limiter l’étalement urbain et redynamiser les centres bourgs à l’encontre des développements commerciaux excentrés
  • Innover dans les activités  économiques et sociales sur le territoire pour réduire les distances : commerces associatifs, hybrides, etc…
  • Développer une agriculture locale, transition agriécologique (variété des cultures) à grand renfort de paysans – donc répondre localement aux besoins des habitants qui couvrent en moyenne 60 km/semaine pour raisons alimentaires
  • Nécessité de politiques pour une réduction des besoins de déplacement sur le territoire
  • Urbanisme et mobilité sont systémiquement interdépendants
  • Impératif d’une grande cohérence
  • Nécessité du consensus pour sortir des logiques électoralistes à court terme
Cinq principes d’action
  • Arrêter d’aggraver le problème, renoncer aux projets inadaptés au monde post carbone : infrastructures, centres commerciaux en périphérie, lotissements isolés.
  • Commencer par ce qui prend du temps, prendre en compte l’inertie des transformations, offrir des alternatives rapidement pour donner le temps aux gens de s’adapter (vélo, voitures électriques).
  • Ne pas disperser les moyens, prioriser les actions pour maximiser les co-bénéfices (ex. passoires thermiques : bon pour l’économie, bon pour l’écologie).
  • Privilégier les liens de coopération et les contributions aux objectifs partagés – interdépendances donc besoin de privilégier la coopération. Par exemple, donner aux territoires les moyens de maximiser la fonction de puits à carbone de la forêt.
  • Prendre appui sur les crises – le regard change face aux crises.

Il est urgent de mobiliser les territoires autour d’un nouveau projet, plus sobre et résilient.

La vidéo se termine par le témoignage très intéressant d’un élu qui est aussi président de son intercommunalité.

Pour plus d’infos on pourra consulter les cahiers territoires de l’organisation, et plus spécifiquement celui destiné aux campagnes.

Enfin, pour les élus et les acteurs du changement dans leur collectivité, Shift offre un nouveau service. Pour toute commune française, Shift My Town agrège une importante quantité de données extraites de différentes bases publiques, pour une sorte de radiographie des vulnérabilités du territoire : alimentation, économie locale, mobilité, aménagement et urbanisme.

Jancovici et le Shift Project : guide de survie pour la ruralité

Un commentaire sur « Jancovici et le Shift Project : guide de survie pour la ruralité »

  1. J’ai, en tant qu’élu local, assisté à cette manifestation “shiftesque” (entre parenthèses, il s’agit d’une structure française ; à la question posée à JMJ du pourquoi du shift, réponse “pour avoir” un écho européen – je rappelle que depuis le brexit, AUCUN membre de l’UE n’a pour langue officielle l’anglais ! )
    Approche totalement technocratique, fondée sur les analyses bien connues de JMJ et consorts, logique d’ingénieur , car côté sciences humaines et sociales, il y a comme un manque, voire une ignorance assumée. Science et technologie sont là pour éclairer le débat politique et citoyen, pas pour imposer des vues, dont certaines fort discutables.
    La raison d’une telle conférence et des suites ? Pas claire, si ce n’est de constituer un groupe de pression (lobby en globish) au service de quelques intérêts privés (JMJ a une structure de consultants florissante), d’une approche du débat politique peu ouverte.
    Bref, à écouter, mais ensuite à critiquer et mettre à distance.
    GE

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