Amilure

Les amis de la montagne de Lure

Cruis (Alpes-de-Haute-Provence), lundi 19 septembre à 6 heures. Le silence de la montagne de Lure est soudainement perturbé par des bruits d’engins qui réveillent les voisins. Une forêt va être détruite sans que personne n’ait été prévenu. Le constat est terrible : la multinationale canadienne Boralex, opérateur de parcs photovoltaïques, se comporte à la manière d’un Bolsonaro en Amazonie : il s’agit d’investir le terrain sans grande considération du droit, de mettre machines et bûcherons en nombre, et de défricher et raser la forêt le plus rapidement possible. 17 hectares à flanc d’une montagne ensoleillée des Alpes du Sud, voilà une belle opportunité pour déployer un projet extrêmement rémunérateur pour la commune de Félix Moroso, maire de Cruis, et (à une tout autre échelle) pour l’opérateur – avec l’augmentation actuelle du prix de l’électricité, la filière industrielle photovoltaïque est de plus en plus rentable.

Le programme sur lequel se sont accordé industriel et élu revient à détruire la biodiversité et des espèces remarquables – ce qu’ont constaté nombre d’experts dont la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) ; à détruire une forêt replantée il y a quinze ans après un incendie à coup de centaines de milliers d’euros d’argent public ; à détruire un paysage remarquable porteur de l’identité et de l’attractivité d’un territoire héritier de Jean Giono.

Ce même lundi à 9 heures, une mobilisation commence à s’organiser avec l’engagement de l’association des Amis de la Montagne de Lure et du collectif Elzéard-Lure en résistance. Il faut dire que depuis des mois la vigilance s’exerce à plein et qu’après moult démarches auprès des parties prenantes dont l’État, un recours a été déposé au tribunal administratif de Marseille. Une instruction est d’ailleurs encore en cours qui voit se succéder les mémoires de Boralex et de l’association Amilure.

Le combat s’engage donc et, à 10 heures, un huissier est mandaté pour constater le début des travaux et l’absence de l’affichage réglementaire du permis de défricher, lequel aurait dû être visible 15 jours avant le début des opérations. L’objectif est de déposer un recours en référé au tribunal administratif qui, malheureusement, tardera à se prononcer. Or, pendant ce temps, les travaux continuent, les arbres tombent, la coupe à blanc gagne du terrain.

Reste l’appel à mobilisation citoyenne massivement relayé afin que dès le lendemain un maximum de personnes soient présentes sur le site.

Mardi 20 septembre à 7 heures, engins et bûcherons, protégés par des vigiles accompagnés de chiens, poursuivent leur œuvre de destruction en dépit de la présence de nombreux opposants. Avec la gendarmerie qui a été dépêchée sur place le dialogue s’engage. Le député récemment élu, Léo Walter, est alerté et contacte la préfecture. Des journalistes accourent dont BFM des Alpes du Sud qui réalise un reportage. Pour sa part, le maire déclare que la situation ne le concerne pas et renvoie la responsabilité du conflit à l’entreprise Boralex. À midi les travaux s’arrêtent… et ne reprendront pas ce jour-là. Motif : « la sécurité des personnes n’est pas assurée ». C’est une première petite victoire pour les opposants.

Le lendemain dès 5 heures 30, la présence citoyenne se renforce – on se doute que malgré leur suspension obtenue la veille, les travaux vont reprendre. Quelques altercations ont lieu entre des bûcherons et des militants actifs.

Les négociations se poursuivent en vue d’obtenir un arrêt des travaux de 15 jours, le temps que le référé sur le défaut d’affichage produise ses effets. Las, les arbres continuent de tomber laissant la place à un paysage de désolation. Lorsque le temps sera venu pour Boralex de peut-être se voir condamné à verser des compensations, la forêt n’existera plus, la montagne sera défigurée et la biodiversité détruite.

Jeudi 22 septembre à 5 heures, la mobilisation continue : quelques dizaines de personnes bloquent les routes d’accès au chantier et ralentissent les travaux. En face, on renforce les moyens en bûcherons et personnel de sécurité. Puis, quelques militants parmi les plus résolus montent dans les arbres encore debout. C’est alors qu’un bûcheron particulièrement agressif tronçonne celui sur lequel s’est juchée une manifestante. Celle-ci tombe et se blesse. Transportée par les pompiers à l’hôpital de Sisteron, elle est admise aux urgences mais son état est heureusement sans gravité. Qu’à cela ne tienne, les travaux continuent…

En fin de matinée, la sous-préfète de Forcalquier se déclarera sincèrement désolée de cet accident. On conviendra de poursuivre les échanges et une invitation sera lancée afin de visiter le site devenu paysage lunaire. On cherchera en vain les espèces protégées. Comme le dit un des opposants : « avec le charbon et le pétrole, nous avons pollué l’air, l’eau et la terre. Aujourd’hui, nous en venons à détruire les forêts pour produire de l’électricité. Nous avons un gros problème… »

Isabelle Bourboulon, journaliste indépendante, et Richard Collin, président d’Amilure

index projet : #cruis-aubert
Récit de la destruction d’une forêt

Un commentaire sur « Récit de la destruction d’une forêt »

  1. Détruire les forêts dans une des régions les plus arides de France, où le problème de la sècheresse a de tout temps été crucial, est criminel. Les décisions des autorités locales sont incompréhensibles! En plus, détruire les forêts au nom de “l’écologie”, supprimer les “poumons verts” au nom de l’écologie est un non-sens, mais en plus il y a abus de confiance, ou trahison de l’écologie! N’y a-t-il pas d’autres endroits pour installer les panneaux photovoltaïques? Les toitures des entreprises et des grands centres commerciaux par exemple, et même de corps de fermes, des remises pourquoi pas? …sans compter les forêts ravagées par des incendies! L’énergie solaire, oui bien sûr, mais pas n’importe où, ni n’importe comment! La montagne de Lure était déjà, lorsque nous étions enfants, répertoriée parmi les sites comportant des espèces rares de flore et de faune. Nos parents nous apprenaient au cours des randonnées à les découvrir et les reconnaître. Abattre les arbres revient à anéantir tout cet univers. C’est horrible à voir! Où irons-nous chercher de l’ombre l’été? Les autorités locales n’habitent pas la région? Ne se sentent-elles pas concernées??? Faut-il reléguer la beauté du site de la montagne de Lure aux oubliettes, dans des livres, des reportages qui ne seront plus que la mémoire du passé?

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